Aline Lonvaud, œnologue dans un univers masculin
Née en 1947, Docteur ès-sciences, zootechnie et agronomie (Bordeaux 2, 1986). Professeur à la Faculté d'œnologie, Université Victor Segalen-Bordeaux 2 en 2003, aujourd’hui Professeur Emérite, Institut des Sciences de la Vignes et du Vin Bordeaux-Aquitaine (ISVV).
Entretiens avec Aline Lonvaud réalisés à l’Institut des Sciences de la Vigne et du Vin Bordeaux-Aquitaine pour le CERVIN par Jean-Michel Chevet et Jean-Claude Hinnewinkel les 10/01, 09/02 et 14/03/2017
Cervin : D’où vient votre intérêt pour l’œnologie ?
Aline Lonvaud : Je n’avais pas prévu d’être œnologue et je préparais les concours d’admission aux grandes écoles d’agronomie. En 1968, j’ai été admissible mais pas reçue. Je ne suis pas bordelaise, mais narbonnaise J’étais attirée par la chimie et à Narbonne, la chimie, c’était l’œnologie. Des œnologues de « gros » laboratoires locaux m’ont conseillée : « Pour faire des études d’œnologie, il faut aller à Bordeaux », alors que nous n’étions qu’à 100 km de Montpellier. C’est comme cela que je suis arrivée à l’Institut d’œnologie pour préparer le diplôme national d’œnologue, dont la première version comportait, deux ans après le bac, une année de préparation et l’année du DNO. Comme je sortais de classe préparatoire aux grandes écoles, j’ai été admise en deuxième année. Là j’ai eu de grands professeurs, Jean Ribéreau-Gayon, directeur de l’Institut d’œnologie, Emile Peynaud, directeur du service de recherche de la station agronomique et œnologique, Pascal Ribéreau-Gayon, professeur, Pierre Sudraud, directeur du laboratoire interrégional de la répression des fraudes, alors intégré à l’Institut d’œnologie et Gérard Seguin maître de conférences.
Pour mon orientation en œnologie, je dois insister sur le rôle de Mr G. Seguin. Indirectement je lui dois beaucoup. A l’issue de mon DNO, j’ai fait le stage dans son laboratoire. Ses travaux portaient alors sur l’alimentation en eau de la vigne, il mesurait et étudiait les profils hydriques dans les sols et dans la plante, tout au long de l’année et surtout pendant l’été jusqu’aux vendanges. J’ai donc travaillé avec lui pour la première fois en août 1970, en faisant les prélèvements de raisins sur les points de mesure de profil hydrique. Quand je n’étais pas dans la vigne, j’étais devant des paillasses ; c’était le bonheur absolu. J’étudiais deux sites viticoles du Médoc et un du Sauternais, l’évolution de la baie de raisin depuis la véraison jusqu’à la vendange. Pour chaque baie (200 baies par prélèvement) au moins une fois par semaine (plus s’il pleuvait) je notais le poids, le volume, l’acidité, les sucres le nombre de pépins et… la résistance à l’éclatement. Ce dernier caractère était mesuré grâce à un montage très ingénieux mis au point par Mr. Seguin et un de ses collègues « bricoleur ». L’objectif était de mettre en relation toutes ces mesures sur la baie et celles sur l’alimentation en eau et les profils hydriques du sol. Je ne ferai pas plus de commentaire sur la machine à calculer qui devait peser 10kg et qui pendant des heures me permettait de faire les calculs de corrélation entre les différents paramètres mesurés et… imprimait des longueurs de papier impressionnantes ; les calculettes n’en étaient qu’à leur début et il n’y en avait pas à l’Institut. J’avais dû finalement acheter ma première calculette « Texas » encore très limitée dans ses performances sans doute en 1971.
Une fois titulaire du DNO, que faire ? Conseillée par Mr Seguin, je suis repartie étudiante à l’Université, ce qui n’était pas prévu. Mais les temps étaient plus favorables que maintenant, et plusieurs chercheurs de l’Institut d’œnologie m’ont trouvé des petits boulots, trois mois par ici, quinze jours par-là, j’ai travaillé régulièrement, et j’ai beaucoup appris en direct. L’institut d’œnologie comprenait alors plusieurs laboratoires de chimie, distincts par leurs activités et applications, un labo de microbiologie et un de pédologie-ampélologie. D’abord sitôt mon DNO en poche, j’ai fait des contrôles de vinification pour la campagne de 1970 pour Mr Peynaud, pendant l’absence de sa technicienne. Puis sans manquer beaucoup de cours à l’université, j’ai travaillé dans le laboratoire de Mr. Guimberteau, chef de travaux au service de répression des fraudes alors rattaché à l’Institut d’œnologie et finalement dans tous les laboratoires, avant de revenir l’été suivant reprendre les études sur les baies de raisin.
Selon les périodes, en fonction des absences de personnel ou de surcroît de travail, j’ai été affectée à tous, sauf à celui de microbiologie qui n’en a pas eu besoin. Mr Seguin, cette année-là, m’avait recrutée aussi comme monitrice de TP pour les analyses de sol du Diplôme Universitaire d’Etudes en Ampélologie. Je lui dois beaucoup car il m’a soutenue pendant les deux années de préparation de ma maîtrise de biochimie à l’Université de Bordeaux 2. Là, j’ai passé les certificats de chimie organique, biophysique, biochimie structurale et métabolique avec d’excellents professeurs, B. Labouesse, J. Bové, B.Guérin, etc… . Tantôt sur les bancs de la fac, tantôt devant la paillasse, c’était sensationnel ; j’étais souvent sollicitée dans un laboratoire ou un autre.
J’ai obtenu mon DEA avec Mr Pascal Ribéreau-Gayon et après le DEA j’ai continué en thèse. Tout était simple. Mr. Ribéreau-Gayon m’a donné le choix pour mon sujet de thèse ; je pouvais aller chez Mr Bertrand et faire de la chromatographie gazeuse ou rester dans son labo. Mr Ribéreau-Gayon avait investi dans une électrode à CO², un outil de pointe qui a couté 15 000 francs, pour une thèse en biochimie. Mr Ribéreau-Gayon estimait que, compte tenu de l’investissement, une thèse ne suffisait pas et qu’il en fallait une seconde. Mais contrairement à ce que je supposais, comme titulaire d’une maitrise de biochimie, je fus conviée à étudier le CO2 dans les vins. J’avais suivi des cours de biochimie, et même de biologie moléculaire, discipline qui démarrait à Bordeaux avec J. Bové, j’étais plutôt déçue. C’était plus proche de la physico-chimie que de la biochimie et de l’enzymologie qui prenait alors de l’importance en œnologie. « Vous avez trois ans, on se retrouve dans trois ans » me dit mon directeur de thèse. J’ai dû vraiment faire preuve d’imagination pour trouver… ce qu’il fallait chercher. Je m’en suis sortie grâce à l’appui d’œnologues du terrain comme G.Guimberteau. J’allais dans les chais de producteurs ou de négociants surpris de me voir arriver et aborder un sujet qui, à vrai dire, ne les avait jamais préoccupés. Quand je me rendais chez un grand négociant sur les quais, je n’y allais pas seule, mais avec un stagiaire, un homme, qui lui avait un meilleur accueil pour faire des prélèvements dans les cuves des grands chais. C’était l’époque où les femmes n’étaient pas bienvenues dans les chais. Tout cela a énormément changé. Les femmes maitresses de chais ne sont plus des exceptions. Elles représentent même une meilleure image du château ! Et puis il y avait André Lefebvre, véritablement « Mr géo-trouve-tout » de l’Institut. Il connaissait énormément de choses et réalisait constamment des montages ou des expériences inédites pour vérifier ses hypothèses tirées de ses observations. Je discutais beaucoup avec lui parce qu’il était bien la seule personne que le sujet du CO2 intéressait. Finalement j’ai soutenu une thèse de Troisième cycle sur l’utilisation des gaz neutres en œnologie, une technique toujours utilisée et qui depuis n’a pas bénéficié d’autres travaux. Cela suffisait sans doute. J’avais dans mon jury de thèse celui qui le premier avait travaillé sur le CO² dans les vins, le Professeur Jaulmes de l’Université de pharmacie de Montpellier, spécialisé en chimie du vin. Il était avec Jean Ribéreau-Gayon un précurseur en œnologie. Lors de la soutenance ces deux grands personnages se sont congratulés l’un l’autre, je n’ai pas eu une seule question, Mr Jean Ribéreau-Gayon louant la faculté de pharmacie, Mr Jaulmes qualifiant de magnifique le travail effectué à Bordeaux et le félicitant pour le recrutement de son fils Pascal. C’était l’époque des « mandarins » mais cela ne me gênait pas ; ils étaient de grands professeurs, et j’étais plutôt contente et fière d’y être.
Cervin : Cette époque des « mandarins » est donc terminée ? Quelles sont les différences avec l’époque actuelle ? Le choix des sujets ? Un plus grand suivi des doctorants ?
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