Le terroir viticole de SAINT-MACAIRE
à la recherche de son identité (13e – 19e siècles)
JC Hinnewinkel, Géographe, Université Bordeaux – Montaigne CERVIN / Siriona rives de Garonne
A environ 50 km de Bordeaux, sur la rive droite de la Garonne, Saint-Macaire constitue le « verrou historique du Bordelais ». Autrefois capitale dynamique d’un petit pays d’une dizaine de paroisses, elle offre aujourd’hui les charmes d’une vieille cité à peine sortie du Moyen-Age. La quête d’identité est particulièrement étroite pour ce territoire
Ancienne cité gallo-romaine implantée sur un éperon rocheux aisément fortifiable que venaient alors baigner les eaux de la Garonne, Saint-Macaire est située approximativement à la limite amont des manifestations de la marée. Elle jouissait ainsi de tous les effets bénéfiques de celle-ci sur la navigation.
Photo 1 : Au Moyen âge la cité de Saint-Macaire dominait le port sur la Garonne qui coulait à ses pieds
Très tôt la cité devient un port important sur la Garonne, drainant les productions d’un arrière-pays qui préfigure le terroir de Saint-Macaire (Fig. 1).
Fig.1 : Le terroir ne peut se réduire à un lieu agronomique. Le terroir est un espace d’action et de projet, un système géographique complexe dans lequel le site agronomique (ou terroir agronomique ou agro-terroir) est une composante en interrelation avec le terroir social, à la fois paysage et réseau d’acteurs.
Dès 1227, une « commune » de marchands signe un accord avec les cités d’Agen, Port-Sainte-Marie, le Mas d’Agenais et La Réole pour régler à l’amiable les conflits de navigation sur la Garonne. Un maire apparaît en 1256 et la cité, devenue « ville royale d’Angleterre » en 1341 par la grâce d’Henri III, peut battre monnaie et exerce son autorité sur une juridiction de 6 paroisses qui s’étendent entre le comté de Benauge et Sainte-Croix-du-Mont au Nord, le ruisseau de Saint-Martin de Sescas à l’Est et le cours de la Garonne au Sud et au Sud-Ouest (Fig. 2).
Fig.2: Découpages administratifs du pays macarien
En 1379, Saint-Macaire participe à la ligue d’autodéfense des « filleules de Bordeaux » avec Libourne, Saint-Emilion, ... liant ainsi son destin à celui de la capitale du duché.
La cité et sa région connaissent une certaine prospérité avec la période anglaise, Saint-Macaire est en effet sur la rive droite de la Garonne la limite extrême de l’archevêché de Bordeaux. A ce titre elle bénéficie pour sa juridiction du « privilège des vins de Bordeaux ». Celui-ci permet alors aux producteurs installés en aval du ruisseau de Saint-Martin-de-Sescas d’écouler leurs vins sur le marché bordelais et par-là même, étranger, dès la fin des vendanges (Fig.3)
Fig. 3 : Les effets des privilèges, le Haut et le Bas pays, le bassin d'approvisionnement de Bordeaux (Sandrine Lavaud, Bordeaux et le vin au Moyen-âge, essor d'une civilisation viticole, Editions Sud-Ouest, 2003)
Les vins récoltés plus en amont, dans le « haut pays » devaient quant à eux attendre la Saint-Martin dans un premier temps, puis Noël. Il s’agissait ainsi pour les jurats bordelais de limiter la concurrence des vins de l’Aquitaine intérieure. La mesure était d’autant plus efficace que la fermentation des vins était très mal maîtrisée et que dans le port de Bordeaux les navires se faisaient rares pendant la mauvaise saison : après Noël il fallait alors souvent attendre le printemps, si les vins n’étaient pas perdus, pour trouver acquéreur. Toutefois cette position frontalière entre haut et bas pays (Fig. 3) se traduit pas par l’essor du vignoble, sans doute à cause des effets de la guerre de 100 ans (1337-1453).
Le vignoble macarien[1] reste un vignoble vivrier jusqu’à la fin de la guerre de 100ans. C’est essentiellement un vignoble de basse terrasse et de pieds de côte au sein de la juridiction de Saint-Macaire. C’est un vignoble en archipel avec quelques ilots plus dense autour de Saint-Macaire. Partout la vigne est dispersée au milieu des parcelles en prairies ou en cultures céréalières. C’est une culture secondaire en joualles concurrencées par les jardins. L’impression qui domine est celle d’un « vignoble-jardin » où dominent les céréales alors que dans les palus réservés aux prairies la vigne est absente. Le vin est alors produit pour le boire sur place, pour l’autoconsommation et la vente « en ville ».C’est une situation que l’on retrouve alors autour des petites villes d’Aquitaine et même de la France entière.
Ce vignoble est un vignoble de citadins. Constituée par des bourgeois héréditaires qui constituent une « élite marchande » d’alleutiers détenteurs de parcelles dans la campagne proche, la société est dominée par quelques « maisons nobles » et le Prieuré de Saint-Macaire, plus gros propriétaire de vignes
Photo 2 : Le Mercadiou, place du marché et haut-lieu du terroir macarien au Moyen âge
Ce vignoble est aussi un vignoble populaire, une multitude de petits tenanciers disposant le plus souvent de 2 ou 3 petites parcelles pour leur consommation familiale, le surplus éventuel étant commercialisé quand le vin des bourgeois était bu.
Donc, au final, un vignoble ordinaire relevant comme souvent d’un protectionnisme de clocher qui n’a pas pu profiter de son appartenance au royaume d’Angleterre, sans doute à cause de la guerre de Cent ans. Le terroir macarien est limité aux quelques parcelles et ilots viticoles de la basse terrasse à proximité de cité.
Les privilèges sont confirmés après 1453 par les rois de France, tel Henri II qui ordonne en 1551 « que le vin qui se cueillera au-dessus de Saint-Macaire ne pourra être descendu au-devant de la ville de Bordeaux jusqu’après le jour et fête de Noël et ne devra ni entrer ni être mis dans ladite ville. Et semblablement n’entrera en icelle ville aucun vin s’il n’est du cru de ladite sénéchaussée et diocèse de Guyenne »[1]. (Fig.3)
Après la conquête française, à la fin du 15e et au début du 16e, des îlots de plus en plus nombreux mitent les paysages de polyculture. La densification des basses terrasses s’accompagnent de la conquête des coteaux. Cet élan s’accompagne d’une restructuration foncière avec regroupement des parcelles, constitutions de parcelles plus grandes et concentrations des terres sans toutefois atteindre le phénomène des « bourdieux » comme on le constate à proximité de Bordeaux. Les Macariens investissent largement la juridiction, allant même jusqu’à Sainte-Croix-du-Mont. Les baux à court terme se développent. C’est alors, avec le développement des domaines, une période d’expansion viticole, retardée par rapport celle du Bordelais dont le 1er âge d’or est le 16e siècle.
Ce protectionnisme de clocher a permis de protéger le marché local, celui des vins de ville, des vins bourgeois. Il opère avec des exemptions de droits ou de coutumes et ne vaut que pour le marché des vins de ville. Il revient à donner la priorité au vin local sur le vin « étranger » jusqu’à ce que le premier soit bu.
Le protectionnisme de clocher est remplacé par le protectionnisme de terroir.
Fig. 4 : La taxation de 1647 traduite en carte, les hiérarchies des terroirs bordelais au 17e siècle. Etabli à la demande de la Jurade de Bordeaux, afin de fixer les minima et maxima pour la production de l’année, cette mercuriale ne constitue en aucun cas un classement qualitatif. Il s’agit en fait d’une liste parmi d’autres, heureusement conservée dans les archives.
Saint-Macaire est à cette époque une ville de près de 5 000 habitants qui supplante nettement sa rivale Langon. Cette dernière fait en effet alors partie de l’archevêché de Bazas et à ce titre ne bénéficie pas jusqu’en 1612 du privilège des vins de Bordeaux. Le terroir des vins de Saint-Macaire est un élément reconnu du vignoble bordelais par sa composante juridique qu’est alors la Juridiction de Saint-Macaire.
Fig.5 : Le vignoble de Bordeaux au XIVe siècle (Jean-Claude Hinnewinkel, Les terroirs viticoles, origines et devenir, Bordeaux, Editions Féret, 204, p.212)
Sur la rive gauche, l’évêché de Bordeaux s’arrête en effet à Toulenne bien que cette dernière fasse partie de la juridiction de Langon et de la sénéchaussée de Bazas. Il s’ensuit une rivalité ancienne entre les deux villes et le premier procès remonte à 1331, alors que Langon relève du roi de France et Saint-Macaire du roi d’Angleterre. Une île du lit de la Garonne dont l’enjeu est justement le bénéfice pour Langon du privilège des vins de Bordeaux, est revendiqué par les deux parties.
Les destructions des guerres de Religion et surtout l’envasement du port avec le déplacement du cours de la Garonne vers son tracé actuel se concrétisent dans un lent mais inéluctable déclin. Certes les vins de la juridiction continuent de bénéficier de privilèges jusqu’en 1776 où un édit de Turgot leva l’interdiction d’entrée des vins dans le port de Bordeaux avant la Saint-Martin.[1] Mais attirés par l’essor commerce colonial, les marchands macariens sont déjà installés dans la capitale de la Guyenne.
La Révolution confirme ce déclin. La ville perd son assise territoriale pour ne plus contrôler que les 179 ha de sa paroisse. En 1790, elle n’est élevée qu’au rang d’un modeste chef-lieu de canton du district de Cadillac, composé alors des anciennes communes de sa juridiction moins Sainte-Croix-du-Mont rattachée à celui de Cadillac, et Saint-Martin de Sescas rattachée à celui de La Réole, augmenté de Saint-Martial et Saint-Germain-de-Graves. En 1800, le remodelage administratif étend le pats macarien vers le Nord-Est et l’Est en lui redonnant Saint-Martin de Sescas et en adjoignant Caudrot, Sainte-Foy-la-Longue, Saint-Laurent-du-Plan et Saint-Laurent-du-Bois ainsi que Semens. (Fig.2)
Aux lendemains de la période révolutionnaire et la disparition des «privilèges des vins de Bordeaux », les vins de Saint-Macaire sont principalement des vins rouges corsés et colorés appréciés des consommateurs anglais comme « New French Claret ». Une bonne partie provient des palus. Tout au long du 19ième siècle, ils sont commercialisés comme les vins des côtes de Bourg et de Blaye, à un niveau à peine inférieur à celui des Côtes de Bordeaux actuelles. Et jusqu’à la fin du 19e siècle les ateliers de tonnellerie étaient un des points forts de l’activité macarienne.
La suite de l'histoire du terroir des vins de Saint-Macaire est à retrouver dans :
Jean-Claude Hinnewinkel L’identité perdue du vignoble de Saint-Macaire au 20e siècle
[1] P.ROUDIE. Vignobles et vignerons du Bordelais. (1850-1980), CNRS, 1988.
[1]A.SAPALY. Langon à travers les siècles. Office de Tourisme. Langon. 1992
[1] Sandrine Lavaud, Les dynamiques du vignoble à la fin du Moyen-âge, 19e colloque du Clem les 20-20-22 octobre 2023, à paraître