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2023 Pierre Dubourdieu, un vigneron inventif
Pierre Dubourdieu, un vigneron inventif (1923-2021)
Père du professeur Denis Dubourdieu, Pierre Dubourdieu a été une figure marquante du vignoble bordelais par sa grande inventivité technique au service du monde viticole mais aussi par une vision prospective qui lui permit d'éviter les erreurs de nombreux acteurs de la filière et de traverser les crises des régions de vins blancs en permettant à Doisy-Daëne de se maintenir dans le peloton de tête des grands crus de Sauternes.
J’ai rencontré Pierre Dubourdieu quelques années après le décès en 2016 de son fils Denis, le fondateur de l’Institut des Sciences de la Vigne et du Vin « Bordeaux-Aquitaine ». Pendant plusieurs mois, il m’a reçu à Doisy-Daëne, autour d’un verre de Doisy, pour me conter son histoire, celle de sa famille et surtout pour afficher ses convictions. Il souhaitait que je les porte à la connaissance des amateurs de vins comme une composante de la prestigieuse appellation Sauternes. Lors de nos nombreuses rencontres, Pierre Dubourdieu m’a ainsi rapporté sa vision de son métier, de son évolution. Son récit est aussi le reflet de l’expérience d’un vigneron passionné, inventif et gestionnaire avisé. Patiemment ses souvenirs ont été consignés, relus, améliorés… Et puis le Covid est arrivé…
Pour lui comme pour moi, se retrouver devenait une prise de risques. Alors j’ai attendu la fin de l’épidémie… et un matin la nouvelle est tombée : Pierre Dubourdieu est décédé le 5 août 2021. J’ai un temps décidé de laisser dormir dans un dossier les écrits accumulés de cette histoire désormais achevée. Et puis j’ai repris mes notes, réécouté les enregistrements et, par respect pour sa mémoire, décidé de publier ses souvenirs sous formes de nouvelles.
Avec « Pierre Dubourdieu, un vigneron inventif et gestionnaire avisé », le Cervin vous en livre les premières pages.
« Je suis né en 1923. Nous étions trois enfants, l’ainé, né avant la guerre de 1914-1918, moi venu après, et entre les deux, un frère qui fut médecin. Pour mon père, Georges, il n’y avait que les études qui comptaient. Il avait bien réussi, il avait le brevet supérieur et pendant un an il avait été instituteur. Pour ma mère, qui était une personne un peu originale, la qualité de la vie importait davantage. Quand je suis parvenu à l’âge de 10 ou 12 ans, elle a donc déclaré que l’on ne devait pas m’embêter : « Il fera dans la vie ce qu’il voudra ». Mon père a été réticent mais il a cédé et à la fin de sa vie il a reconnu que je m’étais bien débrouillé ».
Un créateur
Portrait par Serge Tchekhov in Histoire des grandes familles des vins de France, Wine Tour, 2015
Cervin - De l’avis de tous ceux qui l’ont connu, avec qui il a travaillé au renon du vin de Doisy-Daëne, Pierre Dubourdieu a été un travailleur infatigable, génial et inventif. Il avait un souci permanent de rendre plus aisé le dur travail de vigneron.
Pierre Dubourdieu - « J’ai commencé à travailler aux côtés de mon père en 1939 à 16 ans. Quand il m’a confié Doisy-Daëne (6 ha) au lendemain de la guerre, tout le travail se faisait encore à la main et le cheval passait dans les vignes. C’était un travail pénible, tout ce faisait à la main. J’ai alors imaginé et fait créer de nouveaux matériels pour soulager les taches des vignerons. Dans ma vie j’ai beaucoup innové. On peut sortir de Polytechnique et ne rien inventer. A la vigne il faut par contre être sans cesse en éveil, tout est dans la nature. Grace à mes inventions, même si je n’ai pas déposé de brevet, j’ai gagné de grosses sommes d’argent. Je me suis ainsi épanoui dans mon atelier, en dehors de la faculté. Quand je songe à tout ce que j’ai pu adapter ou inventer, je suis moi-même un peu surpris de la chance que j’ai eu, de cette liberté d’entreprendre…
J’ai ainsi inventé une écimeuse vigne, une décavaillonneuse automatique, un pressoir automatique, un appareil en enfoncer les piquets, le refroidissement des vins blancs secs… Par exemple, la plantation des piquets se faisait à la masse. J’ai mis au point une machine à enfoncer les piquets, ce qui m’a valu un joli prix au concours organisé par l’Institut technique du vin à Montpelier. Je l’ai fait pour sortir de la peine, de ma peine mais aussi de celle des autres. Parce que taper avec une masse toute la journée quand vous avez 3 ou 4 mille piquets à planter ! Un jour où j’avais 5 ou 6 ha à installer à Floridene, j’ai fait chercher un enjambeur, un piquet et un cric. J’ai ensuite mis l’enjambeur dans le rang, présenté un piqueur avec le cric dessus et l’ai pu ainsi enfoncer mon piquet sans peine. Je suis alors parti chercher un vérin pour aller voir le forgeron et lui expliquer mon projet. Deux jours après l’appareil était prêt. A mesure que j’arrivais à la bonne hauteur, le système se déclenchait. Je fais ma plantation quand Joseph David[i] dont l’épouse était propriétaire du château Liot voisin est passé. Il m’a alors mis en contact avec les techniciens de l’ITV pour que je présente mon invention au salon de l’année. J’ai obtenu un premier prix. C’était un joli prix. L’année suivante j’ai eu un premier prix aussi pour l’effeuilleuse. »
Pierre Dubourdieu expérimentant son effeuilleuse en 1972
A suivre
[i] Joseph David, président des Jeunes agriculteurs du Canton de Cadillac et organisateur des démonstrations de motoviticulture en Sud- Gironde entre 1949 et 1978.
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