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2024 Pierre Dubourdieu (1923 – 2021), un art viticole disparu
Mémoire du vignoble de Bordeaux
Pierre Dubourdieu (1923 – 2021),
un art viticole disparu
Article rédigé à partir des entretiens réalisés par le Cervin (JC Hinnewinkel) avec le père de Denis Dubourdieu en 2020
CERVIN JCH : J’ai rencontré Pierre Dubourdieu quelques années après le décès en 2016 de son fils Denis, le fondateur de l’Institut des Sciences de la Vigne et du Vin « Bordeaux-Aquitaine ».
Pendant plusieurs mois, il m’a reçu à Doisy-Daëne, autour d’un verre de Doisy, pour me conter son histoire, celle de sa famille et surtout pour afficher ses convictions. Il souhaitait que je les porte à la connaissance des amateurs de vins comme une composante de la prestigieuse appellation Sauternes. Lors de nos nombreuses rencontres, Pierre Dubourdieu m’a ainsi rapporté sa vision de son métier, de son évolution. Son récit est aussi le reflet de l’expérience d’un vigneron passionné, inventif et gestionnaire avisé. Patiemment ses souvenirs ont été consignés, relus, améliorés… Et puis le Covid est arrivé…
Pour lui comme pour moi, se retrouver devenait une prise de risques. Alors j’ai attendu la fin de l’épidémie… et un matin la nouvelle est tombée : Pierre Dubourdieu est décédé le 5 août 2021. J’ai un temps décidé de laisser dormir dans un dossier les écrits accumulés de cette histoire désormais achevée. Et puis j’ai repris mes notes, réécouté les enregistrements et, par respect pour sa mémoire, décidé de publier ses souvenirs sous formes de nouvelles sur le site du CERVIN :
Avec « Pierre Dubourdieu, «un art viticole aujourd’hui disparu», le Cervin vous livre aujourd’hui ses premières pages mémoires de ce grand « artiste vigneron ».
Au volant de sa voiture en 2020
Pierre Dubourdieu : « Je suis né en 1923. Nous étions trois enfants, l’ainé, né avant la guerre de 1914-1918, moi venu après, et entre les deux, un frère qui fut médecin. Pour mon père, Georges, il n’y avait que les études qui comptaient. Il avait bien réussi, il avait le brevet supérieur et pendant un an il avait été instituteur. Pour ma mère, qui était une personne un peu originale, la qualité de la vie importait davantage. Quand je suis parvenu à l’âge de 10 ou 12 ans, elle a donc déclaré que l’on ne devait pas m’embêter : « Il fera dans la vie ce qu’il voudra ». Mon père a été réticent mais il a cédé et à la fin de sa vie il a reconnu que je m’étais bien débrouillé ».
Georges Dubourdieu (1895-1979)
Pierre Dubourdieu (2023-2021)
J’ai commencé à travailler aux côtés de mon père Georges sur les propriétés de Doisy-Daëne à Barsac et d’Archambault à Illats en 1939, à l’âge de 16 ans. Les seuls millésimes que je n’ai pas vinifiés sont le 1944 et le 1945, suite à mon engagement en 1943.
Doisy-Daëne (Barsac) dans les années 80
Archambault (Illats) dans les années 2000
CERVIN JCH : Vous évoquez volontiers un art viticole disparu des années 1930-1940. Qu’entendez-vous par là ?
Pierre Dubourdieu : A l’époque les pratiques viticoles étaient approximativement les mêmes qu’au début du 20e siècle, lors de la reconstruction des vignobles après la grande crise phylloxérique de la fin du siècle précédent. Il s’agissait d’une viticulture très soigneuse où chaque pied de vigne, chaque branche étaient l’objet de soins particuliers. Je vais décrire la succession des travaux telle qu’on la pratiquait à l’époque.
La plantation
Tout commençait bien sûr avec la plantation. A l’époque c’était le travail le plus long et surtout le plus pénible car tous les travaux se faisaient à la main. Il fallait d’abord enlever les grosses pierres. C’est rempli de pierre à Barsac. Aujourd’hui on utilise de grosses pelles. Dans mon jeune temps cela n’existait pas et il fallait employer la barre à mines et la dynamite. Pour être tranquille il fallait au moins que la pierre soit à 40 cm de la surface du sol. La vigne a besoin de d’au moins 40 cm de bonne terre. Quand on trouve un bloc à 20 cm de la surface, rien ne sert de l’enlever complétement, il faut l’étêter. Pour cela il fallait maîtriser l’emploi de la dynamite. J’ai appris à m’en servir en participant à la démolition de la ligne Siegfried où nous devions faire dynamiter des murs en béton d’au moins deux mètres. Il faut attaquer par le bon angle et si on se loupe, c’est raté : il faut alors attaquer au marteau-piqueur. Cela m’a beaucoup servi pour éliminer les rocs. Au lieu d’enlever tout le bloc rocheux, je faisais sauter dix à quinze centimètres, c’était suffisant.
Venait ensuite le défonçage. Il sert à enlever les racines. On replante souvent trop tôt car il faut que les racines soient ou bien enlevées, ou bien complètement sèches. Par exemple sous un roc elles restent vivantes longtemps. Elles restent bourrées de nématodes et peuvent provoquer des dégénérescences par la suite. Pendant longtemps on a eu le droit d’employer un désinfectant, le Shell DD. Ce n’est plus autorisé. Donc il faut du temps. Malheureusement dans les pays calcaires, les racines vont sous le roc et restent vivantes. On a l’impression que tout est mort, vous levez la pierre et la racine est encore vivante et donc remplie de phylloxera. Aussi il faut avoir assez de terrain pour pouvoir attendre après arrachage. Ce qui n’empêche pas de défoncer, d’enlever un maximum de racines et de laisser tranquille pendant quatre ou cinq ans. Dans les sols de grave c’est différent. Au bout de trois ou quatre ans les racines sèchent naturellement.
Labours avec une paire de bœufs. Pour défoncer il fallait deux ou trois paires… (Cliché internet)
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