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Aline Lonvaud, œnologue dans un univers masculin
Née en 1947, Docteur ès-sciences, zootechnie et agronomie (Bordeaux 2, 1986). Professeur à la Faculté d'œnologie, Université Victor Segalen-Bordeaux 2 en 2003, aujourd’hui Professeur Emérite, Institut des Sciences de la Vignes et du Vin Bordeaux-Aquitaine (ISVV).
Entretiens avec Aline Lonvaud réalisés à l’Institut des Sciences de la Vigne et du Vin Bordeaux-Aquitaine pour le CERVIN par Jean-Michel Chevet et Jean-Claude Hinnewinkel les 10/01, 09/02 et 14/03/2017
Cervin : D’où vient votre intérêt pour l’œnologie ?
Aline Lonvaud : Je n’avais pas prévu d’être œnologue et je préparais les concours d’admission aux grandes écoles d’agronomie. En 1968, j’ai été admissible mais pas reçue. Je ne suis pas bordelaise, mais narbonnaise J’étais attirée par la chimie et à Narbonne, la chimie, c’était l’œnologie. Des œnologues de « gros » laboratoires locaux m’ont conseillée : « Pour faire des études d’œnologie, il faut aller à Bordeaux », alors que nous n’étions qu’à 100 km de Montpellier. C’est comme cela que je suis arrivée à l’Institut d’œnologie pour préparer le diplôme national d’œnologue, dont la première version comportait, deux ans après le bac, une année de préparation et l’année du DNO. Comme je sortais de classe préparatoire aux grandes écoles, j’ai été admise en deuxième année. Là j’ai eu de grands professeurs, Jean Ribéreau-Gayon, directeur de l’Institut d’œnologie, Emile Peynaud, directeur du service de recherche de la station agronomique et œnologique, Pascal Ribéreau-Gayon, professeur, Pierre Sudraud, directeur du laboratoire interrégional de la répression des fraudes, alors intégré à l’Institut d’œnologie et Gérard Seguin maître de conférences.
Pour mon orientation en œnologie, je dois insister sur le rôle de Mr G. Seguin. Indirectement je lui dois beaucoup. A l’issue de mon DNO, j’ai fait le stage dans son laboratoire. Ses travaux portaient alors sur l’alimentation en eau de la vigne, il mesurait et étudiait les profils hydriques dans les sols et dans la plante, tout au long de l’année et surtout pendant l’été jusqu’aux vendanges. J’ai donc travaillé avec lui pour la première fois en août 1970, en faisant les prélèvements de raisins sur les points de mesure de profil hydrique. Quand je n’étais pas dans la vigne, j’étais devant des paillasses ; c’était le bonheur absolu. J’étudiais deux sites viticoles du Médoc et un du Sauternais, l’évolution de la baie de raisin depuis la véraison jusqu’à la vendange. Pour chaque baie (200 baies par prélèvement) au moins une fois par semaine (plus s’il pleuvait) je notais le poids, le volume, l’acidité, les sucres le nombre de pépins et… la résistance à l’éclatement. Ce dernier caractère était mesuré grâce à un montage très ingénieux mis au point par Mr. Seguin et un de ses collègues « bricoleur ». L’objectif était de mettre en relation toutes ces mesures sur la baie et celles sur l’alimentation en eau et les profils hydriques du sol. Je ne ferai pas plus de commentaire sur la machine à calculer qui devait peser 10kg et qui pendant des heures me permettait de faire les calculs de corrélation entre les différents paramètres mesurés et… imprimait des longueurs de papier impressionnantes ; les calculettes n’en étaient qu’à leur début et il n’y en avait pas à l’Institut. J’avais dû finalement acheter ma première calculette « Texas » encore très limitée dans ses performances sans doute en 1971.
Une fois titulaire du DNO, que faire ? Conseillée par Mr Seguin, je suis repartie étudiante à l’Université, ce qui n’était pas prévu. Mais les temps étaient plus favorables que maintenant, et plusieurs chercheurs de l’Institut d’œnologie m’ont trouvé des petits boulots, trois mois par ici, quinze jours par-là, j’ai travaillé régulièrement, et j’ai beaucoup appris en direct. L’institut d’œnologie comprenait alors plusieurs laboratoires de chimie, distincts par leurs activités et applications, un labo de microbiologie et un de pédologie-ampélologie. D’abord sitôt mon DNO en poche, j’ai fait des contrôles de vinification pour la campagne de 1970 pour Mr Peynaud, pendant l’absence de sa technicienne. Puis sans manquer beaucoup de cours à l’université, j’ai travaillé dans le laboratoire de Mr. Guimberteau, chef de travaux au service de répression des fraudes alors rattaché à l’Institut d’œnologie et finalement dans tous les laboratoires, avant de revenir l’été suivant reprendre les études sur les baies de raisin.
Selon les périodes, en fonction des absences de personnel ou de surcroît de travail, j’ai été affectée à tous, sauf à celui de microbiologie qui n’en a pas eu besoin. Mr Seguin, cette année-là, m’avait recrutée aussi comme monitrice de TP pour les analyses de sol du Diplôme Universitaire d’Etudes en Ampélologie. Je lui dois beaucoup car il m’a soutenue pendant les deux années de préparation de ma maîtrise de biochimie à l’Université de Bordeaux 2. Là, j’ai passé les certificats de chimie organique, biophysique, biochimie structurale et métabolique avec d’excellents professeurs, B. Labouesse, J. Bové, B.Guérin, etc… . Tantôt sur les bancs de la fac, tantôt devant la paillasse, c’était sensationnel ; j’étais souvent sollicitée dans un laboratoire ou un autre.
J’ai obtenu mon DEA avec Mr Pascal Ribéreau-Gayon et après le DEA j’ai continué en thèse. Tout était simple. Mr. Ribéreau-Gayon m’a donné le choix pour mon sujet de thèse ; je pouvais aller chez Mr Bertrand et faire de la chromatographie gazeuse ou rester dans son labo. Mr Ribéreau-Gayon avait investi dans une électrode à CO², un outil de pointe qui a couté 15 000 francs, pour une thèse en biochimie. Mr Ribéreau-Gayon estimait que, compte tenu de l’investissement, une thèse ne suffisait pas et qu’il en fallait une seconde. Mais contrairement à ce que je supposais, comme titulaire d’une maitrise de biochimie, je fus conviée à étudier le CO2 dans les vins. J’avais suivi des cours de biochimie, et même de biologie moléculaire, discipline qui démarrait à Bordeaux avec J. Bové, j’étais plutôt déçue. C’était plus proche de la physico-chimie que de la biochimie et de l’enzymologie qui prenait alors de l’importance en œnologie. « Vous avez trois ans, on se retrouve dans trois ans » me dit mon directeur de thèse. J’ai dû vraiment faire preuve d’imagination pour trouver… ce qu’il fallait chercher. Je m’en suis sortie grâce à l’appui d’œnologues du terrain comme G.Guimberteau. J’allais dans les chais de producteurs ou de négociants surpris de me voir arriver et aborder un sujet qui, à vrai dire, ne les avait jamais préoccupés. Quand je me rendais chez un grand négociant sur les quais, je n’y allais pas seule, mais avec un stagiaire, un homme, qui lui avait un meilleur accueil pour faire des prélèvements dans les cuves des grands chais. C’était l’époque où les femmes n’étaient pas bienvenues dans les chais. Tout cela a énormément changé. Les femmes maitresses de chais ne sont plus des exceptions. Elles représentent même une meilleure image du château ! Et puis il y avait André Lefebvre, véritablement « Mr géo-trouve-tout » de l’Institut. Il connaissait énormément de choses et réalisait constamment des montages ou des expériences inédites pour vérifier ses hypothèses tirées de ses observations. Je discutais beaucoup avec lui parce qu’il était bien la seule personne que le sujet du CO2 intéressait. Finalement j’ai soutenu une thèse de Troisième cycle sur l’utilisation des gaz neutres en œnologie, une technique toujours utilisée et qui depuis n’a pas bénéficié d’autres travaux. Cela suffisait sans doute. J’avais dans mon jury de thèse celui qui le premier avait travaillé sur le CO² dans les vins, le Professeur Jaulmes de l’Université de pharmacie de Montpellier, spécialisé en chimie du vin. Il était avec Jean Ribéreau-Gayon un précurseur en œnologie. Lors de la soutenance ces deux grands personnages se sont congratulés l’un l’autre, je n’ai pas eu une seule question, Mr Jean Ribéreau-Gayon louant la faculté de pharmacie, Mr Jaulmes qualifiant de magnifique le travail effectué à Bordeaux et le félicitant pour le recrutement de son fils Pascal. C’était l’époque des « mandarins » mais cela ne me gênait pas ; ils étaient de grands professeurs, et j’étais plutôt contente et fière d’y être.
Cervin : Cette époque des « mandarins » est donc terminée ? Quelles sont les différences avec l’époque actuelle ? Le choix des sujets ? Un plus grand suivi des doctorants ?
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Michel Boyer,
mémoire du Château Du Cros (Loupiac) et des vins blancs liquoreux
Entretiens réalisés pour le CERVIN par Jean-Claude Hinnewinkel entre 2018 et 2023 (car interrompus par le Covid) avec Michel Boyer, une des fortes personnalités de l’appellation Loupiac en Sud-Gironde
Cervin : Comment êtes-vous devenu vigneron à Loupiac , en Côtes de Bordeaux?
Michel Boyer : je suis un peu bordelais, un peu d’origine corrézienne par ma mère
Mon grand-père est arrivé à Bordeaux dans les années 1850, à l’époque où Bordeaux connaissait une grande prospérité industrielle avec les fabriques de bouteilles, celles de céramiques ou de faïences… Pour faire marcher ces usines, on n’utilisait pas encore le pétrole mais la vapeur et il fallait des entreprises qui fabriquent des chaudières. Beaucoup de Corréziens pour travailler dans le monde du vin. Les Moueix sont des Corréziens, les Janoueix aussi… Eux ont été attirés par le commerce. Mon grand-père, François Thévenot, est arrivé de Corrèze attiré par l’industrie. Il construisait des ouvrages en charpentes métalliques. On doit notamment à la famille Boyer la construction métallique type «Eiffel» de la gare de Bordeaux. C’est un phénomène immuable les habitants des régions pauvres sont attirés par les régions riches, ont toujours attiré les habitants des pays pauvres. On le voit très bien aujourd’hui, les pays riches ont toujours attiré les habitants des pays pauvres.
J’ai cependant toujours appartenu à une famille dans le milieu viticole, je suis né à Portets il y a 90 ans, au château Beausite à Portets. François Thévenot avait rencontré Adrienne Larousse qui était originaire de Bordeaux et dont la famille possédait une maison de campagne à Loupiac où le propriétaire du château du Cros, le comte de la Chassaigne n’avait pas su anticiper le développement des céréales dans la Beauce qui allait faire baisser le prix du blé cultivé sur le plateau du Château du Cros de façon importante. Il n’avait pas non plus pensé que le départ des hommes à la guerre allait rendre difficile la culture de la vigne à la main sur le coteau. Il se trouvait donc en difficultés financières et fut contraint de vendre.
Amoureux de ces terres, François Thévenot a ainsi l’idée d’acquérir le Château du Cros en 1917. François Thévenot était entrepreneur de travaux publics et il n’hésita pas à arracher le reste du vignoble existant sur le coteau et à replanter les vignes sur le plateau. Cette replantation fut réalisée entre 1920 et 1940. Cet ancien vignoble existe toujours et produit les meilleurs vins du Château du Cros avec des vignes presque centenaires
Le château du Cros au début du 20e siècle
Yvonne, la fille de François Thévenot rencontre Georges Boyer et ainsi je suis né dans un château viticole. Après avoir combattu durant les 2 guerres, fait prisonnier en Allemagne et libéré en 1943, Georges Boyer revient au Château du Cros. Il s’est alors occupé de la propriété qu’il a acquise suite aux problèmes financiers de son beau-père François Thévenot.
Je suis donc arrivé au château du Cros j’avais 3 ans. J’ai passé ma jeunesse à Loupiac et je me suis formé à l’école d’ingénieur agricole d’Angers de 1954 à 1958. Je me suis marié avec Françoise Moulière en 1958. Françoise état issue d’une famille Bretonne de pêcherie de sardines à Douarnenez. Après avoir participé aux opérations de maintien de l’ordre en Algérie dans la marine, en 1960 je rentre au Cros. Je laisse à mon père Georges le soin de s’occuper du vignoble et débute une activité d’exploitation de vergers le long de la Garonne : pêches, poiriers puis pommiers, kiwis et cerises successivement. De 1965 à 1981 j’ai exploité 15 ha de pêchers et 15 ha de poiriers puis, de 1981 à 2006 je les ai remplacés par des pommiers.
De 1965 à 2006, le château domine des vergers de fruitiers implantés dans la palus à la place des vignes en appellation bordeaux
En 1967, mon père décède et je reprends les vignobles, entreprend des travaux de replantations sur le plateau et achète d’autres vignobles pour diversifier l’offre du Château du Cros. A cette époque, il devait y avoir 27 hectares de vignes blanches pour la production de vins liquoreux sur le plateau que dominent toujours les ruines du vieux château Du Cros. L’exploitation était exclusivement viticole. Il y avait alors très peu de vignes rouges, juste pour la consommation personnelle, surtout dans la plaine où régnaient les fameux hybrides. Sur le coteau il n’y avait pas de vignes, il y en avait eu – les vieilles photos sont avec de la vigne sur le coteau - mais il n’y en avait déjà plus et c’est moi qui aie commencé à y mettre du rouge.
Quand j’ai passé la main à ma fille en 2004, l’exploitation s’était diversifiée. Il y avait toujours la vigne blanche dont la superficie avait été accrue et atteignait 45 hectares sur le plateau et sur le coteau où j’ai replanté. Il devait en plus y avoir 5 ou 6 hectares de vignes rouges, à l’époque c’était du bordeaux, maintenant c’est devenu du Cadillac-Côtes de Bordeaux. J’avais aussi acheté les propriétés de Barsac et Cérons. La propriété de Cérons a été vendue en 2000 à Sigana de Sainte-Croix-du-Mont. Cela faisait un peu trop important pour ma fille à tout gérer. A Cérons on a toujours le château Haut Mayne, en rouge et en blanc sur le plateau. Enfin le vignoble de Château Courbon à Toulenne que j’exploite depuis 1994 a été acheté à la famille Sanders, propriétaire à l’époque du Château Haut Bailly en Pessac–Léognan. En 2000 j’exploitais 95 hectares de vignes.
En 2004, quand ma fille prend la direction des vignobles, elle donne une dimension internationale au Château du Cros. Elle insuffle une nouvelle dynamique avec le développement de l’œnotourisme et les accords mets vins. En 2006, elle arrête les vergers e diminue un peu la superficie viticole car elle exploite ce qu’elle sait vendre, elle doit être à 75 hectares. On a toujours Cérons et Toulenne. Elle a laissé la vente des vins en vrac et se consacre à la vente en bouteilles. Elle a également abandonné les cultures fruitières et sur les terres ainsi libérées je supervise la culture de 30 hectares de maïs non irrigués car ils n’en ont pas eu besoin jusqu’à maintenant.
A partir de 2006, 30ha de maïs ont remplacé les arbres fruitiers dans la palue
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Patrick Léon (1943-2018), un œnologue dans le vignoble bordelais
Entretien réalisé de janvier à juin 2017 au château Les Trois Croix (Fronsac) par JM Chevet et JC Hinnewinkel
Patrick Léon fut œnologue "de campagne" à Cadillac (Gironde) puis après un passage chez Alexis Lichine & C°, il fut recruté Directeur général à la société Baron Philippe de Rothschild (1985-2004). Depuis 2006 il avait crée Léon Consulting pour conseiller les vignerons du Monde entier tout en secondant ses fils dans la gestion du châteaux "Les Trois croix" à Fronsac. Ils nous a quitté en 2018, des suites d'une longue maladie.
Ces entretiens avec Patrick Léon ne concernent que ses activités jusqu’en 2004.Il devait nous conter aussi sa passion pour le château Les trois Croix à Fronsac et surtout son activité de consultant à l’international que nous évoquerons grâce aux traces que laissent sur internet ceux qu’il a conseillé. La maladie puis son décès en décembre 2018 ne nous ont pas permis d’achever de faire revivre son formidable parcours.
Comment je suis venu à l’œnologie ?
Né à Caudéran je suis donc Bordelais. A l’époque, en 1943, une personne sur quatre vivait directement ou indirectement de la vigne et du vin. Chacun avait dans sa famille un père, grand-père, cousin, oncle, impliqué dans la vigne ou le vin. Mon père était dans ce cas, pas dans la partie technique mais dans la partie administrative et comptable au sein de la Maison Cordier. Il s’occupait des comptes privés de Monsieur Jean Cordier. J’avais un oncle qui était tonnelier, un Grand Oncle liquoriste. J’ai donc vécu dans un environnement vitivinicole. Tout jeune j’avais le droit d’aller vendanger avec mon père les week-ends. Il me semble me rappeler que mon père percevait alors un demi-salaire correspondant à mon travail de vendangeur quand j’allais travailler, à Château Talbot, Gruaud-Larose. Peut-être que mon orientation vient de là !
Dès 15 ans je me suis très vite orienté vers un métier à vocation agricole. Je voulais devenir paysagiste en préparant le concours de l’école de Versailles. Je suis rentré en fait dans une école d’agriculture. Celle d’Antibes était alors la seule qui proposait la spécialité horticole. Ma mère était furieuse de me voir partir si loin…Mais elle fut quelque part rassurée car elle était fleuriste-décoratrice à Bordeaux où elle avait 3 magasins. J’avais rêvé mon projet, prévoyant de produire des fleurs pour alimenter ses magasins… Avec ce château en Espagne j’ai réussi à convaincre mes parents. Je me suis retrouvé à Antibes. Sur la Côte d’Azur à 16 ans j’ai trouvé un environnement social très différent de celui du Sud-Ouest. Chez nous on travaillait probablement moins que dans le Nord mais …certainement plus que sur la Côte d’Azur ! Dans ma promotion, je me souviens qu’il était plus important de savoir tirer à la pétanque que d’être capable de résoudre une équation mathématique. Cela m’avait choqué. Je n’ai jamais été un bon tireur !Je travaillais plus que mes camarades. Sur toute ma promotion, nous n’avons été que trois à obtenir ce que l’on appelait le bac agricole. Nous formions alors la première promotion du lycée agricole d’Antibes. Fort de ce bon résultat à Antibes, je décidais d’intégrer une classe préparatoire en vue du concours d’entrée dans une école d’ingénieur agricole. Me voici arrivé à Toulouse. J’ai très vite compris que le temps passé à Antibes m’avait éloigné de la possibilité de devenir un jour ingénieur agricole. J’avais trop de décalage dans les matières fondamentales, les mathématiques, la physique, la chimie. Je me suis dit que jamais je ne pourrai y arriver. Que faire en cours d’année d’études dites supérieures ?Je m’étais renseigné et il n’y avait qu’un seul endroit où on me prenait après un trimestre passé en prépa. C’était en œnologie à Bordeaux. Donc je suis revenu à Bordeaux… de nouveau fâché avec mes parents. Ils me reprochaient non pas de mon retour à Bordeaux, mais de ne plus envisager de faire une école d’ingénieurs…..
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LE PAYS DE SAINT-MACAIRE,
un territoire à la recherche de son identité...
Voir dans notre rebrique Une géographie des territoires
http://mesgeographies.eklablog.com/une-geographie-des-territoires-c33164318
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Jean-Michel Cazes (1936-2023), capitaine d’industrie viticole
Entretien effectué par le CERVIN avec JM CAZES le 19 janvier 2019
Jean-Michel Cazes a reçu le CERVIN en janvier 2019 pour un entretien unique, l’explosion de l’épidémie du Covid contrariant ensuite nos projets de poursuite. C’est donc lors de cette unique séance qu’il a fait part à Jean-Michel Chevet (historien) et Jean-Claude Hinnewinkel (géohistorien) des exceptionnels enseignements de sa grande expérience à la tête des Domaines Jean-Michel Cazes de 1973 à 2007. Il avait alors 83 ans.
Cervin : Les Domaines Cazes, ce sont aujourd’hui le Château Lynch-Bages à Pauillac (100ha), Les Ormes de Pez à St Estèphe (40ha), Villa Bel Air dans les Graves (46ha), L’Ostal Cazes, près de Carcassonne, dans le midi (65ha de vignes plus 25ha d’oliviers) mais aussi le Domaine des Sénéchaux à Châteauneuf-du-Pape (27ha). Vous produisez un vin nommé « Xisto » au Portugal et « Tapanappa » en Australie avec un associé. Enfin vous avez développé des « marques » : Michel Lynch pour Bordeaux, et la gamme Circus pour le Languedoc. Quelles est la genèse des Domaines Jean-Michel Cazes?
Jean-Michel Cazes : Mon arrière-grand-père « Lou Janou » était un ouvrier agricole saisonnier ariégeois venu en Médoc à la fin du 19e siècle pour effectuer des travaux agricoles. Les « Montagnols » comme on les appelait, étaient spécialistes du défonçage des sols avant plantation. On les mit notamment beaucoup à contribution vers 1870 puis plus tard lors du phylloxera. Il y avait des hordes de Montagnols qui débarquaient en Médoc tous les hivers, lâchant leurs chèvres dans les montagnes au printemps. A partir de 1875, lassé par ces aller-retour – ils venaient la plupart du temps à pied depuis l’Ariège - mon grand-père s’est fixé à Saint-Lambert, à côté d’ici.
Là, pendant quelques années il a joué un peu le rôle de chef d’équipe, comme aujourd’hui les Portugais qui recrutent des vendangeurs dans le nord du Portugal ; lui recrutait des ouvriers saisonniers dans l’Ariège. Il les logeait chez lui ; ils étaient 10 ou 12 à habiter ainsi pendant la saison. Quand il a cessé son activité, il a fait son jardin où il cultivait des légumes vendus ensuite au marché. C’est ainsi que démarra l’histoire viticole de la famille.
Mon grand-père Jean-Charles, premier de la famille qui soit né à Pauillac, partit au service militaire à 18 ans, ayant devancé l’appel. A son retour il s’est employé comme ouvrier boulanger, épousant ensuite la fille de son patron et reprenant l’affaire à la mort de celui-ci. Il fut boulanger à Pauillac jusqu’à la guerre de 1914-1918 où il a été mobilisé. Comme il avait effectué des périodes militaires, il est revenu capitaine d’infanterie, ce qui n’était pas mal. A son retour, Il a repris son métier de boulanger jusqu’au jour où sa boulangerie a brulé. Il s’est retrouvé sans métier. Dans cette période de crise des années 20, beaucoup de propriétés du Médoc survivaient très difficilement, souvent avec des propriétaires absents. Comme il avait de bonnes bases paysannes, et grâce à l’amitié d’un banquier local de Pauillac, Monsieur Marcel Alibert, il s’est occupé, comme homme d’affaires, pour le compte de ce banquier de propriétés délaissées par leur propriétaire. C’est ainsi qu’il a pris pied dans sur Les Ormes de Pez. Il s’est occupé aussi d’une propriété à Margaux qui est devenue le Relais de Margaux ; je l’y accompagnais parfois quand j’étais gosse. Le domaine de l’Ile Vincent, situé dans les bas-fonds, gelait souvent. Après la seconde guerre mondiale, suite à une gelée sévère, mon grand-père a convaincu le propriétaire de ne pas replanter. En 1933, à la demande du général de Vial, il prit Lynch Bages en fermage dans des conditions très favorables, s’étant engagé à garder la propriété en production sans demander d’argent au propriétaire. C’est dire si la situation était catastrophique. En 33, 34, 35 il a survécu. Il a réussi à sauver l’exploitation et le général a mis Lynch Bages en vente pendant deux ans je crois sans trouver d’acheteur. Finalement il s’en est débarrassé en vendant en 1939 à mon grand-père qui en proposait un prix faible.
Mon père, André eut une histoire très différente mais a lui aussi exercé une influence déterminante sur le vignoble qu’il a régénère et agrandit. Il fut le premier à promouvoir les vins à l’international. Ses deux frères ainés nés à Pauillac avaient intégré l’Ecole polytechnique après de brillantes études. Ce n’était pas mal pour des enfants de boulanger de campagne. Mon père devait suivre le même chemin et en 1931 il intégra le lycée Louis Le Grand à Paris pour préparer lui aussi Polytechnique. Malheureusement il contracta une pleurésie tuberculeuse et fut rapatrié sanitaire juste avant les concours. Il est resté à Pauillac pendant près de deux ans. En 1933, il reprit ses études et, ne pouvant suivre la voie des concours, se mit à faire du droit. Il s’est marié, je suis né en 1936, ma sœur en 1934. Il a été convoqué au service militaire puis partit à la guerre où il fut fait prisonnier. Il s’est retrouvé en 1945, de retour d’Allemagne, sans jamais avoir travaillé. A trente-trois ans il prit une autre voie. Avant la guerre mon grand-père s’était mis à proposer des polices d’assurances. Il cherchait à diversifier ses revenus et comme il avait tout perdu dans l’incendie de la boulangerie, n’étant pas assuré, il avait compris que s’assurer était utile. Il se mit donc à vendre des assurances pour le compte d’une compagnie, La Providence. En 1945 mon père avait le choix entre travailler avec son père sur les propriétés dont il s’occupait et l’assurance. Comme mon grand-père avait un caractère qui n’était pas simple, ils ont préféré mettre une frontière entre leurs activités. Mon grand-père s’est occupé de la vigne et mon père a pris en charge l’assurance. Donc en 1945 mon grand-père gérait Lynch-Bages ainsi que les Ormes de Pez achetée en 1941et il s’occupait de propriétés ici ou là. Mon père s’est jeté à corps perdu dans l’assurance et a monté à Pauillac un cabinet d’assurance qui est vite devenu très important. Il ne s’est jamais occupé du vignoble mais en revanche il est devenu maire de Pauillac et a eu un rôle important dans la création de la commanderie du Bontemps et des organismes professionnels autour du vin alors que mon grand-père ne s’intéressait qu’à la partie technique, s’occupant peu du marketing et de la structuration des organisations professionnelles. Mon grand-père travaillait avec le négoce comme la plupart des propriétaires de l’époque. Voilà comment sont partis les domaines JM Cazes.
Le vieux cuvier gravitaire de 1866 encore en service à l’arrivée de JM Cazes (blog de JMCazes)
Pour lire la suite de l'entretien Télécharger « 2019 JM CAZES capitaine d'industrie vinicole.pdf »
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