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Voyage au pays du vin
Les mondes du vin au XXe siècle : l’histoire et les lieux
Le XXe siècle, l’affirmation de deux mondes
Jean-Claude Hinnewinkel, Professeur de Géographie, Directeur du CERVIN (Centre Vigne et Vin), Université Michel de Montaigne – Bordeaux3
in Voyage au pays du vin, histoire, anthologie, dictionnaire, collection Bouquins, Robert Laffont, 2007.
Les débuts de la mondialisation viticole
Crises et restructuration du vignoble européen
En rayant peu à peu de la carte une grande partie du vignoble européen, le phylloxera provoqua la baisse des volumes des vins produits alors que parallèlement la consommation de vins ordinaires (le pinard !) doublait en 40 ans, atteignant 120/140 litres par an et par habitant en France à la fin du XXème siècle.
Cette pénurie apparue entre 1880 et le début du XXème siècle déclencha la mise en place d'une fraude colossale. La réorganisation du vignoble qui suivit se fit principalement par l’abandon des terroirs accidentés, caillouteux, arides, pauvres où pousse habituellement la vigne au profit des terres agricoles de plaines plus fertiles. L’incapacité de nombreux petits propriétaires de trouver les moyens de régénérer leur vignoble se traduisit par une première phase de concentration dans des propriétés moins nombreuses dont la taille moyenne s’accrut. En outre on utilisa des cépages hybrides à très gros rendements qui se révélèrent de piètre qualité pour le vin. Le tout provoqua une crise de surproduction colossale qui entraîna l'écroulement des prix ; le Languedoc Roussillon fut un des plus touchés avec comme point d’orgue la révolte de 1907 à Narbonne, Béziers, Perpignan, Montpellier, Carcassonne où défilèrent, par centaines de milliers, les vignerons ruinés et leurs familles.
Ce raz de marée se termina dans le sang mais du drame devait, en partie, naître le vignoble européen contemporain avec une nouvelle structuration de la profession. A la fin du 19ème les viticulteurs sont encore mal organisés : c’est à la faveur de la crise phylloxérique, et après la loi de 1884, qu’apparurent en France les premiers syndicats de vignerons, le plus ancien reconnu étant celui de Saint-Émilion en Bordelais. Dès le début du XXème siècle, les créations syndicales se succédèrent dans toutes les régions viticoles françaises. Elles furent la conséquence directe de la législation mise en place à partir de 1905 pour lutter contre la fraude et protéger l’origine en délimitant des aires de production. Le mouvement s’accéléra surtout au lendemain de la loi de 1919 qui reconnût ces mêmes groupements de producteurs comme capables de défendre devant les tribunaux les aires d’appellation en cours de délimitation. Partout des syndicats de vignerons firent ainsi reconnaître ce qu’ils estimèrent correspondre à leur aire d’appellation répondant « aux usages locaux, loyaux et constants ».
Dans le même temps la géographie viticole fut bouleversée. Le phylloxera avait ruiné de nombreuses régions viticoles qui perdirent la quasi totalité de leurs vignobles : ce fut le cas en France notamment de la région parisienne, de la Lorraine… Grâce au chemin de fer et aux cépages gros producteurs, les vignobles méditerranéens, italiens mais aussi le Languedoc devinrent rapidement les principaux pourvoyeurs des marchés urbains en plein expansion. Même dans les vignobles réputés pour leur qualité, l’emploi des cépages hybrides favorisa la production de vins courants sinon médiocres. Toutefois de nombreux viticulteurs réagirent en se tournant vers la qualité et ce fut la progressive mise en place des AOC entre 1911 et 1936.
Dans les pays européens deux filières se structurèrent ainsi peu à peu : celle des vins dits de table ou vins courants, sans origine déterminée et celle des vins dits de qualité et dont la reconnaissance était fondée sur l’origine, concept désormais au cœur des débats sur l’organisation de la filière
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Les coopératives vinicoles en Aquitaine
Du temps de la restructuration du vignoble au temps de la restructuration des entreprises.
Nathalie CORADE, Maître de conférences en économie, EGERIE, ENITA de Bordeaux
Jean-Claude Hinnewinkel, Professeur de géographie, CERVIN, Université Montaigne Bordeaux 3.
Communication au colloque de la VDQS, Bordeaux juin 2006
Résumé :
Le mouvement coopératif est au cœur de l’histoire de l’organisation du secteur agricole. Prenant naissance à la fin du dix-neuvième siècle pour permettre aux agriculteurs de faire face collectivement aux crises économiques et de s’organiser face à la montée du monde industriel, les coopératives se rattachent à d’anciennes coutumes rurales d’entraide.
D’abord essentiellement en amont des exploitations agricoles, le mouvement s’est étendu aux activités de transformation. Les coopératives vinicoles naissent, pour la plupart, au début du vingtième siècle avec la première coopérative créée en 1901 à Maraussan mais c'est vers les années 30 qu'elles se développent.
En Aquitaine la première cave coopérative a été créée en 1930 en Gironde. Cette période est le point de départ fondateur des caves coopératives, motivé par le besoin de se rassembler pour faire face à la crise que va subir la viticulture dans cette période. La mise en place du système coopératif va alors se propager à travers toute la Gironde et plus tard dans l'ensemble de la région et ce pour de nombreuses raisons :
- Les fondateurs des premières coopératives viticoles en ont fait une intense promotion via la presse locale, nationale mais aussi par des voyages et des conférences.
- Ce système d’association a un grand intérêt financier face aux négociants de la place bordelaise.
- Ceci a permis aux viticulteurs de travailler moins surtout après les récoltes.
- Ce regroupement a permis la production d’un vin de qualité uniforme.
- Le viticulteur ne s’occupe pas de la vente de son vin, il n’a donc plus de soucis de commercialisation.
Dès son apparition, les bases de la coopération sont fixées et adoptées : un viticulteur représente une voix et la rémunération se fait en fonction des apports, les quantités sont juste prises en compte.
Plusieurs périodes vont alors jalonner l'histoire de la coopération en Aquitaine.
L’histoire montre alors que si le mouvement prend naissance dans les années trente, l'après guerre va voir la constitution de nouvelles coopératives dont la première dans le Sud de l'Aquitaine (Bellocq). Vont alors d'années en années se créer de nouvelles coopératives jusqu'à la dernière née en 1998 à Domme.
Le regard historique montre que si la création des coopératives commence dans les années trente, c'est après la seconde guerre mondiale que va se constituer la géographie de la fondation des coopératives. Par rapport à la période d'avant-guerre, le problème viticole des années 50 n'était pas le même. Les coopératives se constituent notamment dans des zones où la viticulture est moins prestigieuse, où la monoculture n'est pas la règle. Les coopératives vont alors devenir l'élément d'un doublé : elle va être le fondement d'un vignoble et être une locomotive de la constitution de l'appellation, appellation qui devait aller de pair avec la constitution d'un vignoble de qualité.
Les coopératives ont à ce titre lourdement pesé pour transformer des vignobles en VDQS en Vignobles A.O.C, les vignobles exclus de ces zones vont être progressivement condamnés et on va assister à une densification de ces vignobles dans ces zones
On constate alors une évolution dans les motivations de leur naissance.
Plus de soixante ans après leur création, l’environnement économique des coopératives vinicoles a évolué. Sur le marché des vins, de nouvelles concurrences au niveau mondial voient le jour s'ajoutant ainsi aux concurrences interrégionales. Le marché dominé par des vins de très haute gamme laisse à la fois une place pour des vins plus génériques mais oblige à conduire des stratégies propres à s'assurer une place dans le jeu concurrentiel.
Stratégies de compétitivité prix et hors prix obligent alors des investissements et/ou des restructurations que seules les unités de production les mieux organisées et les plus performantes sont à même de conduire. Dans ce contexte, les coopératives souvent de petite dimension s'interrogent sur leur pérennité et leur légitimité. Pour certaines, l'aura du viticulteur indépendant, un contexte local marqué par une forte pression foncière se traduisent par des pertes d'adhérents, de surfaces et leur non-renouvellement. Pour d'autres, leur taille ne leur permet pas d'atteindre une masse critique, suffisante pour leur permettre de réaliser les investissements nécessaires pour répondre aux conditions du marché les privant d'un accès à des marchés plus aptes à valoriser leurs produits, ni de miser sur des économies d'échelle pour développer des stratégies de compétitivité..
Les processus de restructuration se mettent en marche. Rapprochements de tous ordres se mettent en œuvre transformant par là même la physionomie du monde coopératif vinicole aquitain.
Le papier a pour objet de montrer ces évolutions au sein du tissu coopératif pour en analyser la portée sur le contenu même du principe coopératif.
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Entre public et privé, la difficile gouvernance des vignobles du nord de l’Aquitaine
BOIVIN Nicolas, ATER / doctorant Université de Bordeaux, ISVV / UMR 5185 ADES / CERVIN et HINNEWINKEL J.-C., Professeur émérite, Université de Bordeaux, ISVV / UMR 5185 ADES / CERVIN
Résumé
La gestion de la filière vitivinicole est un exemple souvent mis en avant de « bonne » cogestion entre les pouvoirs publics et les acteurs privés que sont les professionnels. La gestion de la profonde crise structurelle que ne finissent pas de traverser les vignobles français, en suscitant des réformes à tous les échelons, est une excellente occasion d’analyser les jeux de pouvoirs entre les différentes acteurs de la filière, bien sûr, mais aussi et tout particulièrement entre ces derniers et leur environnement politique et social. A partir de l’étude des vignobles du nord de l’Aquitaine nous constaterons une nouvelle fois la difficulté d’établir une véritable gouvernance associant tous les partenaires concernés. Pour le moment l’immobilisme l’emporte sur l’innovation organisationnelle annonciatrice des mutations profondes jugées indispensables par de nombreux experts pour permettent aux vignobles français de se maintenir dans un concert mondial en plein bouleversement.
« Summary :
The management of the vitiviniculture sector is often mentioned as a good example of « good » joint management between public authorities and professionals as private actors. The management of the deep structural crisis that is still affecting French vineyards while inspiring new reglementations at all levels gives us a chance to analyse games of power between actors and particularly between them and their political and social environment. The study on vineyards from the North of Aquitaine shows us again how difficult it is to establish real governance between all actors involved. Conservatism is still stronger than organisational innovation considered as a sign for important shifts that can’t be avoided regarding many experts if the French vineyards are to keep up in the middle of an evolving global concert. »
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Jean-Claude Hinnewinkel, professeur et Hélène Velasco-Graciet, maître de conférences, Institut de Géographie Louis Papy, Université Michel de Montaigne, Bordeaux 3
Cet extrait est tiré du n° 231-232 juillet-octobre 2005 des cahiers d'Outre-Mer, revue de géographie de Bordeaux, intitulé Vignobles de l'hémisphère sud.
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Essai géographique sur la crise du bordeaux
Les fondements géohistoriques du vignoble bordelais
Nathalie Corade, maitresse de conférences d’économie, Bordeaux Sciences Agro et CERVIN
Jean-Claude Hinnewinkel, professeur émérite de Géographie, ADES (Aménagement, Développement, Environnement, Santé)- UMR CNRS 5185, Université Michel de Montaigne-Bordeaux3, et CERVIN
Hélène Vélasco-Graciet, professeur de Géographie, ADES (Aménagement, Développement, Environnement, Santé)- UMR CNRS 5185, Université Michel de Montaigne-Bordeaux3, et CERVIN
In Essai géographique sur la crise du Bordeaux, JClaude Hinnewinkel, Nathalie Corade et Hélène Vélasco, Bordeaux, MSHAquitaine, 2015, 247 p.
L’analyse du développement d’un vignoble dans la longue durée requiert une prise en compte des multiples temporalités qui régissent les rapports entre passé, présent et avenir. Outre celle de la longue durée, il nous faut aussi retenir les temporalités du temps court mais aussi celles des temps intermédiaires.
a - la longue durée qui est le temps des réputations
C’est le temps de la construction des images, le temps de la succession des systèmes vitivinicoles qui, lors de chaque remise en cause, a permis de générer un nouveau vignoble sur les décombres de l’ancien. Pour rester dans le cas du Bordelais, il est ainsi possible de repérer aisément un système « vignoble de Bordeaux médiéval », reposant sur le succès du claret et le marché anglais, un système « vignoble de Bordeaux moderne », avec la diversification des productions suscitées par les marchands hollandais et les classements et un système « vignoble de Bordeaux contemporain » tout entier structuré par les AOC. A travers l’analyse de ces systèmes, ce qui compte c’est la recherche des fondements idéels et structurels, les constantes qui ont fait, qu’ici et pas ailleurs, un vignoble a pu perdurer par-delà les crises et les difficultés. Ces dernières nous rappellent qu’il faut enfin prendre en compte un troisième type de temporalité, celle de l’adaptation permanente aux changements de l’environnement socio-économique, aux mutations du monde vitivinicole.
b -L’intermédiaire, temps de la construction des « terroirs »
Lorsque nous parlons de terroirs, il s’agit de terroirs géographiques (doc 3). Philippe Roudié a mis en relief l’ambiguïté du terme, suite à une évolution sémantique complexe et récente. Sans entrer dans le débat, nous appréhendons le terroir dans son sens le plus large, celui des autres productions agricoles, celui des médias et du grand public. Nous le considérerons donc comme un espace de production promu (et donc défendu) par un groupement de producteurs organisés, espace de projet, tout à la fois naturel, juridique, sociétal, culturel, patrimonial et bien sûr espace économique soit un espace global, un espace géographique. Ce qui nous conduit à parler de système complexe vitivinicole
Nathalie Corade, maitresse de conférences d’économie, Bordeaux Sciences Agro et CERVIN
Jean-Claude Hinnewinkel, professeur émérite de Géographie, ADES (Aménagement, Développement, Environnement, Santé)- UMR CNRS 5185, Université Michel de Montaigne-Bordeaux3, et CERVIN
Hélène Vélasco-Graciet, professeur de Géographie, ADES (Aménagement, Développement, Environnement, Santé)- UMR CNRS 5185, Université Michel de Montaigne-Bordeaux3, et CERVIN
In Essai géographique sur la crise du Bordeaux, JClaude Hinnewinkel, Nathalie Corade et Hélène Vélasco, Bordeaux, MSHAquitaine, 2015, 247 p.
L’analyse du développement d’un vignoble dans la longue durée requiert une prise en compte des multiples temporalités qui régissent les rapports entre passé, présent et avenir. Outre celle de la longue durée, il nous faut aussi retenir les temporalités du temps court mais aussi celles des temps intermédiaires.
a - la longue durée qui est le temps des réputations
C’est le temps de la construction des images, le temps de la succession des systèmes vitivinicoles qui, lors de chaque remise en cause, a permis de générer un nouveau vignoble sur les décombres de l’ancien. Pour rester dans le cas du Bordelais, il est ainsi possible de repérer aisément un système « vignoble de Bordeaux médiéval », reposant sur le succès du claret et le marché anglais, un système « vignoble de Bordeaux moderne », avec la diversification des productions suscitées par les marchands hollandais et les classements et un système « vignoble de Bordeaux contemporain » tout entier structuré par les AOC. A travers l’analyse de ces systèmes, ce qui compte c’est la recherche des fondements idéels et structurels, les constantes qui ont fait, qu’ici et pas ailleurs, un vignoble a pu perdurer par-delà les crises et les difficultés. Ces dernières nous rappellent qu’il faut enfin prendre en compte un troisième type de temporalité, celle de l’adaptation permanente aux changements de l’environnement socio-économique, aux mutations du monde vitivinicole.
b -L’intermédiaire, temps de la construction des « terroirs »
Lorsque nous parlons de terroirs, il s’agit de terroirs géographiques (doc 3). Philippe Roudié a mis en relief l’ambiguïté du terme, suite à une évolution sémantique complexe et récente. Sans entrer dans le débat, nous appréhendons le terroir dans son sens le plus large, celui des autres productions agricoles, celui des médias et du grand public. Nous le considérerons donc comme un espace de production promu (et donc défendu) par un groupement de producteurs organisés, espace de projet, tout à la fois naturel, juridique, sociétal, culturel, patrimonial et bien sûr espace économique soit un espace global, un espace géographique. Ce qui nous conduit à parler de système complexe vitivinicole
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