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Aborder la question de la territorialité viticole, c’est en premier lieu poser la définition du concept de gouvernance. Celui-ci désigne le plus souvent l’ensemble des conditions dans lesquelles sont construits les projets de développement, tout particulièrement territorial mais aussi comment sont prises les décisions, assurant de nouveaux rapports de coopération entre les groupes dirigeants dont l’État et les organisations de la société. La gouvernance est devenue en quelques décennies un concept essentiel au sein des réflexions sur le développement durable. D’origine anglaise ancienne, le mot est réapparu au cours des années 1980 dans les documents de la Banque Mondiale. Devenu un des fondements de toutes les analyses politiques, notamment celles concernant le développement, le concept de gouvernance porte en lui-même l’idéal démocratique avec la mise en avant de la participation citoyenne censée réduire les coûts sociaux. Derrière cette affirmation, c’est toute la problématique de la décentralisation et de la gouvernance qui est posée tout comme celle des rapports entre les collectivités territoriales et les organisations professionnelles de producteurs. Mais ne faut-il pas également poser la question de la participation des citoyens, habitants du terroir ou consommateurs de ce terroir dans la gouvernance de celui-ci ? Il apparaît donc que la réflexion sur la gouvernance doit être doit aborder la question générale des choix politiques à opérer pour assurer lisibilité, efficacité et donc avenir du terroir vitivinicole[1].
Le terroir vitivinicole, un projet sociétal
Pour de nombreux acteurs du monde vitivinicole, « terroir » est un mot magique qui à lui seul justifie la qualité d’un vin. Mais derrière ce vocable, l’analyse des discours des professionnels révèle des conceptions différentes, le terroir tel que les hommes se le représentent évoluant avec le contexte dans lequel il est mobilisé. Comme dans tous les secteurs de l’industrie agroalimentaire, tels que celui de l’œnotourisme, le terroir est aujourd’hui pris en compte dans toute sa complexité. Le terroir du vin doit être lu comme un système géographique global : le projet sociétal « terroir » prend désormais le pas sur le terroir agronomique en devenant un espace d’action et de projet.
Fig. 1 – Le terroir un espace d’action et de projet
Du terroir agronomique au terroir sociétal
Pour de nombreux professionnels, le terroir viticole est d’abord un milieu physique privilégié apte à produire du bon vin, un terroir agronomique appelé aussi « agro-terroir »[2]. Celui-ci est un milieu original, sinon toujours exceptionnel, soit une entité caractérisée par l’homogénéité des éléments géologiques et pédologiques (texture, granulométrie, épaisseur du sol, nature minéralogique, composants chimiques), topographiques, (altitude, pente, exposition), climatologiques (pluviométrie, température, insolation), complétés par des facteurs humains tels que le choix des cépages ou des modes de conduite de la vigne.
Cette conception s’est imposée principalement au lendemain de la Seconde Guerre mondiale lorsque l’INAO[3], créé après les décrets d’appellation de 1936, fut mis en place. Le terroir physique fut alors mobilisé par les experts de l’institut pour délimiter les aires d’AOC à partir de références scientifiques estimées incontestables, les éléments du milieu naturel. Elle est encore d’actualité pour de nombreux acteurs viticoles et chercheurs qui le définissent comme étant : « l’aire géographique dont les caractéristiques géologiques, pédologiques et climatiques permettent de produire des vins originaux, typés et distincts de ceux provenant d’autres terroirs »[4].
Incontestable, cette définition du terroir ne correspond plus tout à fait à l’utilisation qu’en font la presse, spécialisée ou non, le grand public et les acteurs territoriaux lorsqu’ils parlent de produits du terroir. Le grand tournant épistémologique date du début des années 1990, avec notamment en 1992 la généralisation à d’autres produits agroalimentaires du système des AOC. Quelques études scientifiques en sciences humaines et sociales démontrent avec pertinence que les produits d’origine se situent « entre cultures et règlements »[5], entre nature et culture[6]. Des travaux de géographes mettent en relation la production viticole et la culture, tels ceux de Jacques Maby[7] ou de Michel Réjalot[8] qui tous deux soulignent la dimension culturelle des produits du terroir.
Ainsi le terroir est peu à peu devenu un espace de production légitime d’un produit typique et bien défini qui, sans tomber dans les excès qui ont fait parler d’un terroir du jambon de Bayonne couvrant la plus grande partie du bassin d’Aquitaine, devient espace de production à toutes les échelles. C’est bien ce que nous retrouvons avec les nouvelles AOC non viticoles, fromagères et autres. Le terroir est désormais reconnu comme tel, en France, par le gardien du temple en la matière qu’est l’INAO :
Un terroir est un espace géographique délimité où une communauté humaine a construit au cours de l’histoire un savoir intellectuel collectif de production fondé sur un système d’interactions entre un milieu physique et biologique, et un ensemble de facteurs humains dans lequel les itinéraires sociotechniques mis en jeu révèlent une originalité confèrent une typicité, et engendrent une réputation pour un produit originaire de ce terroir.[9]
Il l’est également au niveau international dans le cadre de l’OIV avec une définition qui reprend en partie les travaux du groupe INRA‑INAO et proposée lors du sixième congrès international des terroirs viticoles à Bordeaux et Montpellier en 2006 :
Le terroir est un espace géographique délimité dans lequel une communauté humaine construit, au cours de son histoire, un savoir collectif de production fondé sur un système d’interactions entre un milieu physique et biologique, et un ensemble de facteurs humains. Les itinéraires techniques ainsi mis en jeu révèlent une originalité et aboutissent à une réputation pour un bien originaire de cet espace géographique.[10]
Si cette définition marque une évolution très nette par rapport à celle du terroir agronomique, la complexité paraît écornée en l’absence de la prise en compte de toutes les entrées de ce système géographique qu’est un terroir vitivinicole. C’est en tout cas la représentation que nous avons défendue avec le terroir sociétal[11].
Cette thèse est pour partie déjà ancienne et fut brillamment présentée par Roger Dion dès les années 1930[12]. Pour ce géohistorien, un terroir c’est bien sûr un milieu naturel, mais surtout une histoire et un marché. Ce sont les trois piliers de la notoriété d’un vin (et de son terroir) et donc du vignoble qui le porte. La bonne cohabitation de ces trois piliers implique nécessairement une bonne gouvernance.
Pour aborder la question de la gouvernance de ce terroir complexe
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Pour découvrir ce volume dont la partie régionale a été rédigée par Jean-Claude Hinnewinkel, alors responsable du département des études pédagogiques au CRDP de Dijon
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