•   J.C. Hinnewinkel, professeur agrégé de Géographie, CERVIN. Institut de Géographie Université Bordeaux3

    (article paru dans L'amateur de Bordeaux sous le titre "Une histoire avec beaucoup de blancs", 1995)

     

                « Souples et vivaces, d’une grande finesse, ils laissent dans la bouche une incomparable sensation de fraîcheur ». Si aujourd’hui les vins blancs secs de Bordeaux trouvent toute leur place aux côtés des vins rouges et des vins blancs doux dans l’extraordinaire palette offerte aux gastronomes par le plus grand vignoble de qualité du Monde, ils occupent cependant toujours une place de second plan dans le vignoble girondin. Avec une superficie qui avoisine chaque année environ 15 000 hectares pour l’ensemble des appellations concernées, ils sont très loin derrière les 85 000 hectares des indéracinables vins rouges. Certes, ils devancent les 4 000 hectares déclarés en vins blancs doux mais ils ne bénéficient pas comme eux du renom d’un château d’Yquem, seul cru de vin blanc classé en 1855 parmi les grands vins du Bordelais.

                De plus dans l’éventail des vins français, les blancs secs du Bordelais ont à faire à de redoutables concurrents, qu’il s’agisse des vins d’Alsace, du Jura, de Bourgogne ou des pays de Loire, ce qui n’est pas le cas des Sauternes et autres vins liquoreux en situation de quasi monopole. Les vins blancs secs furent donc longtemps les parents pauvres de la grande famille bordelaise.  La « parole » était laissée aux seigneurs que sont d’une part les vins rouges avec les appellations prestigieuses du Médoc, des Graves et de Saint-Emilion-Pomerol et d’autre part les vins blancs liquoreux dominés par les Sauternes. Ainsi en 1855 aucun vin blanc sec n’est retenu dans la liste des grands crus classés. Seuls quelques châteaux des Graves du Nord bénéficient alors d’une notoriété auprès d’un public privilégié.

                Cette situation, les vins secs du bordelais la doivent en premier lieu à l’histoire de la région qui longtemps privilégia les vins rouges mais aussi à la géographie et au goût des consommateurs qui à partir du 18ème siècle favorisa les grands vins blancs liquoreux.

     Les bordeaux blancs en 1995...

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  • Jean-Claude HINNEWINKEL

    Professeur émérite de Géographie, Université Bordeaux Montaigne, CERVIN  et chercheur associé à l’ISVV
    Article publié dans De la terre à l’usine : des hommes et du droit, Mélanges offerts à Gérard Aubin

    2013 Le « bon goût » du paysage

    Les côtes de Bordeaux à Sainte-Croix-du-Mont

     

    Les paysages viticoles figurent sans aucun doute parmi les paysages les plus emblématiques des sociétés occidentales. Porteurs d’une culture pérenne, ils sont marqués par une grande permanence puisque au-delà de la durée de vie moyenne d’une plantation, la vigne occupe la même place parfois depuis plusieurs millénaires. Certains peuvent y voir la marque de l’excellence des conditions de production, d’autres au contraire l’inaptitude de sols ingrats pour toute autre spéculation agri­cole aussi rentable. Tous sont obligés de s’accorder sur le rôle prépon­dérant de l’organisation sociale porteuse de cette activité dans cette belle continuité.

    L’empreinte durable dans l’espace d’une activité aux prolongements culturels évidents est, dans l’inconscient des producteurs comme des consommateurs, concrétisation de cet art manifeste qu’est la viticulture. Mais elle est aussi la traduction de la sublimation du vin, et donc des conditions de production : un bon vin doit faire rêver… C’est là que se place le goût du paysage pour celui qui, en buvant du vin, mobilise tous ses sens.

    Notre objectif est ici d’appréhender plus en profondeur cette relation « qualitative » entre le paysage viticole et le vin qui en est issu. Celle-ci est d’abord à mettre en relation avec la représentation du paysage portée par les acteurs de la filière comme par les consommateurs. Elle est ensuite directement influencée par l’excellence du projet vitivinicole des promoteurs du terroir concerné. Celui-ci a des incidences notoires sur les caractéristiques du paysage et donc sur le « goût du paysage » pour ceux qui le fréquentent et boivent le vin.

    Nous appuierons principalement notre analyse sur l’exemple borde­lais qui propose une large palette de dispositifs paysagers, des véritables jardins que sont les parcelles de certains grands crus du Médoc, des Graves ou de Saint-Émilion aux vastes horizons de grande culture viti­cole que l’on rencontre fréquemment dans l’est de l’Entre-deux-Mers ou dans le nord de la Gironde.

    I – Les trois âges du paysage  

    La prise en compte du paysage par les acteurs territoriaux est déjà ancienne et remonte à plusieurs décennies. Dès les années 1980, le paysage est convoqué en tant que contexte esthétique pour valoriser les nombreux projets de développement qui fleurissent dans les régions rurales. Sa prise en compte a depuis beaucoup évoluée, comme le souligne l’exemple de l’inscription du paysage de Saint-Émilion au titre du patrimoine culturel de l’UNESCO1.

    a – Du paysage écrin 2  

    Dans la première mouture du projet d’inscription de Saint-Émilion au patrimoine mondial de l’UNESCO, établie en 1993 par la DIREN Aquitaine et les Bâtiments de France de la Gironde3, le paysage est confiné dans un rôle d’écrin. C’est alors la représentation de la valeur du site portée par les élus, promoteurs du dossier. C’est aussi celle des viticulteurs, acteurs primordiaux de ce paysage et des touristes, consom­mateurs de celui-ci.

    Le paysage viticole est une toile de fond sur laquelle s’expose l’excep­tionnalité monumentale de la cité de Saint-Émilion. Il n’est en aucun cas une « entrée » dans la gestion d’un territoire. C’est un décor dans lequel est implantée la cité médiévale de Saint-Émilion qui fait alors l’objet de la demande d’inscription à l’UNESCO (doc. 1).

    Doc. 1: Dans le premier projet, en 1993, c’est l’inscription du bourg de Saint-Émilion qui est sollicitée. Le paysage viticole sert uniquement de cadre géographique à la vieille ville d’origine médiévale (cliché auteur).

    2013 Le « bon goût » du paysage


     1 Ph Margot, Le Patrimoine viticole mondial de l’Unesco, II – Juridiction de Saint-Émilion,

    http://www.cepdivin.org/articles/phmargot017.html

    2 Cette première partie est inspirée de S. Briffaud et J.-C. Hinnewinkel « Paysage viticole, terroir et œnotourisme », Les entretiens de Podensac, à paraître…

    3 SDAP DE LA GIRONDE ET DIREN AQUITAINE, Rapport pour l’inscription de l’Ancienne Juridiction de Saint-Émilion sur la liste des paysages culturels du patrimoine mondial, 1993, Archives de la CDC de la Juridiction de Saint-Émilion.

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    Jean-Claude Hinnewinkel, professeur honoraire de Géographie, Université Bordeaux Montaigne, CERVIN  et chercheur associé à l’ISVV

    Communication présentée au 17e colloque «L’Entre-deux-mers et son identité » tenu à Rions, Sainte-Croix-du-Mont et Cadillac, les 25, 26 et 27 octobre 2019 et publiée dans Les mutations de la société rurale du Cadillacais et du Podensacais, CLEM, 2021

    2022 Le Sauternais, grandeur et déclin d'un noyau d'élite

     

    Doc 1 : Les noyaux viticoles identifiés au 17e siècle en Bordelais : d’après la taxation de 1647, les hiérarchies s’établissent à partir des trois pôles que sont le Médoc, Les Graves de Bordeaux et le Sauternais.

    Introduction : LE NOYAU D’ELITE, CŒUR DES CONSTRUCTIONS TERRITORIALES QUE SONT LES VIGNOBLES

    2022 Le Sauternais, grandeur et déclin d'un noyau d'élite

     

    Doc 2 : L’ouvrage de Kunholtz-Lordat paru en 1960 

    Le concept de noyau d’élite est dû à un ingénieur agronome, Georges Kuhnholtz-Lordat,[1] l’un des premiers experts mobilisés par l’INAO pour délimiter les aires d’Appellation d’Origine Contrôlée (AOC) à partir de 1936. En 1960, il définit celui-ci comme « le lieu d’excellence d’une zone de production, là où sont réunies des conditions propices à l’élaboration d’un  produit bien caractérisé et généralement de qualité. » Pour Georges Kuhnholtz-Lordat « au fur et à mesure qu’on s’éloigne du noyau d’élite, on s’observe un amenuisement centrifuge et progressif de la qualité » déterminant ainsi un espace géographique correspondant à l’appellation dérivée du nom de ce noyau. Le noyau d’élite apparaît donc comme un des niveaux de lectures du terroir viticole, entre le cru et le vignoble.

    En Bordelais la première reconstitution possible de l’existence de ces noyaux d’élite est rendue possible par la taxation des vins du Bordelais de 1647. Dans celle-ci, réalisée fin octobre en présence de marchands flamands et anglais trois pôles viticoles majeurs apparaissent dans la sénéchaussée de Bordeaux. C’est dans une certaine mesure le premier « classement » des vins du Bordelais connu établi à la demande de la Jurade de Bordeaux, afin de fixer les minima et maxima pour la production de l'année. Cette mercuriale est en fait une liste parmi d'autres, la plus ancienne conservée dans les archives.

     

    1 – En Sud Gironde, naissance d’un noyau d’élite de vins blancs dès le 17ème siècle

     

    La culture de la vigne est attestée En Sud-Gironde, dès le Moyen Âge, même si elle reste secondaire.[2] Mais c’est dans la seconde moitié du XVIe siècle que sur les deux rives de la Garonne, en pays cadillacais comme dans l’actuel Sauternais, s’affirme progressivement une vocation viticole.

    L’essor de la culture de la vigne au 17e siècle

    Pendant le Moyen Âge aucune mention de cépage n’apparaît dans les actes notariés.

    « En revanche, à partir de la seconde moitié du XVIe siècle, ces mentions se multiplient dans les Graves du Sud et surtout dans le Sauternais où l’encépagement s’est fait principalement en blanc. Dans le cas particulier de Preignac, jamais le type de cépage, ni même le terme de vigne blanche n’apparaît dans les actes fonciers. Par contre, dès les années 1560-1570, la majeure partie des obligations, des rentes ou des redevances porte sur des vins blancs. Comme dans le reste du Sauternais, Preignac a donc fait le pari du blanc. Sur l’autre rive, la diversité de productions reste toujours de mise ; néanmoins, là encore le vin blanc semble progresser »[3].

    Les informations manquent pour qualifier ce vin blanc et « En Sauternais, comme à Sainte-Croix-du-Mont, jusqu’à l’apparition des premières vendanges tardives, rien n’atteste qu’il soit doux »[4]. Selon Sandrine Lavaud les premiers indices sont perceptibles à Sainte-Croix-du-Mont dès la décennie 1630-1640. En Sauternais la première mention qu’elle signale date de 1657 à Barsac. Cette pratique va alors se développer sur les deux rives, point de départ d’un noyau d’élite de vins blancs doux, tel que le décrira trois siècles plus tard Kunholtz-Lordat et que consacra au milieu du 17e siècle la taxation de 1647 (doc 4)

    La taxation de 1647

    Dans ce cluster viticole le noyau d’excellence est constitué de Barsac, Fargues, Preignac et Pujols où les valeurs peuvent atteindre 100 livres comme en Médoc (doc 4). Autour de lui,  une diffusion centrifuge de la notoriété des vins place en second rang « Langon – Bommes – Sauternes » (35 livres) puis à égalité  Cérons- Podensac toujours en terres des Graves mais aussi Saint-Macaire et Sainte-Croix-du-Mont qui affichent une valeur maximale de 30 livres, donc très proche de Sauternes. Viennent ensuite, toujours en rive droite Cadillac et Rions (28 livres). A la périphérie se situent Les Bénauges.  

     

    2022 Le Sauternais, grandeur et déclin d'un noyau d'élite

    Doc 4 La taxation de 1647

     

    Les vins blancs ici concernés correspondent aux doux recherchés par les marchands hollandais, ces derniers étant particulièrement prisés sur les marchés du Nord de l’Europe. Ils sont issus des premières vendanges tardives telles que les évoque dans son journal le chanoine de Cadillac, l’abbé Bellet lors des vendanges de 1718 (doc 5)

     

    2022 Le Sauternais, grandeur et déclin d'un noyau d'élite

    Doc 5 : Les vendanges de 1718 extrait du journal de l’abbé Bellet

    Un vignoble marchand

    L’émergence de ce noyau d’élite est ainsi à mettre en relation avec l’arrivée des marchands hollandais sur la place des vins du Bordelais. Les marchands de anglais accaparent les régions productrices de claret proches du port de la Lune, ces nouveaux venus sont donc partis à la recherche de nouveaux territoires où ils suscitèrent la production de vins blancs doux pour l’approvisionnement de leurs marchés du nord de l’Europe et des pays rhénans ou pour satisfaire la demande en eau de vie des convois de marchands qui trafiquent avec les Indes néerlandaises. La région de la confluence du Ciron avec la Garonne leur apparut favorable à ce type de vins blancs et leur demande fut incontestablement facteur de développement du vignoble dans cette région du Bordelais. Le vignoble des vins blancs du Sud-Gironde apparaît donc comme le fruit non seulement d’un milieu naturel favorable mais aussi et surtout comme celui d’une gouvernance marchande, même si celle-ci est largement tempérée par l’action du pouvoir royal et des jurats de Bordeaux, génératrice des « privilèges de Bordeaux ».

    Comme ensemble du vignoble de la sénéchaussée de Bordeaux à l’époque, le vignoble du Sud-Gironde est alors un vignoble marchand avec un véritable contrôle territorial par ses derniers.

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    Ce bilan a été réalisé à l’occasion de mon Habilitation à Diriger des Recherches.

    Mes activités de chercheur en Géographie sont très nettement scindée en deux périodes, avec de 1970 à 1989, des travaux sporadiques en Géographie physique, puis à partir de 1990 une orientation marquée vers une géographie plus historique et sociale.

    1- Jusqu’en 1989 : une sensibilité très « géographie physique »  

                 Après une maîtrise sur la cartographie des aspects physiques de la Martinique, je fus sollicité par le Professeur Guy Lasserre pour, en collaboration avec Michel Petit, rédiger notices et cartes géomorphologiques des atlas de la Guadeloupe (Ceget-Ign, 1976) et de la Martinique (Ceget-Cnrs, 1980)

                 Ces travaux m’incitèrent alors à m’engager dans une thèse de Troisième cycle. Après une longue parenthèse due à une orientation très pédagogique et administrative (CRDP de Dijon), le retour à des taches d’enseignement s’est accompagné de la volonté d’achever le travail entrepris aux Antilles. Les travaux des géologues à la suite de la crise de la Soufrière en 1976 m’incitèrent alors à reprendre les conclusions des atlas et à inclure dans le champ de mes préoccupations l’île intermédiaire de la Dominique. Une mission pendant l’été 1988 me permit d’y effectuer les analyses de terrain, d’y consulter les photos aériennes seulement disponibles sur place et de soutenir fin 1989. 

      

    2- A partir de 1990, une orientation marquée pour une géographie plus sociale et viticole  

                 Mon doctorat soutenu, le retour sur un poste d’enseignant m’incita à de nouvelles recherches, notamment en prévision d’une possible candidature universitaire. En poste dans un lycée, il me parut plus judicieux de choisir un terrain assez accessible, la recherche devant avoir aussi pour vertu d’éviter l’enfermement dans les préoccupations pédagogiques et quotidiennes de l’établissement. Par ailleurs, mon implantation girondine dans le milieu viticole m’incitait à approfondir les structures et le fonctionnement du vignoble bordelais. Je me rapprochais donc de Philippe Roudié, le directeur du CERVIN pour entamer avec lui une collaboration qui depuis ne s’est jamais démentie. 

      

    * Mon activité de chercheur se concrétise alors par des activités d’animation et d’encadrement avec :

      

    -         L’encadrement d’une vingtaine de mémoires de maîtrise de géographie, mais aussi d’histoire contemporaine en collaboration avec Christophe Bouneau, professeur d’Histoire économique contemporaine, sur les espaces viticoles aquitains et sur les dynamiques territoriales dans la région.

     

    -         L’animation, aux côtés de Philippe Roudié, de la recherche sur les espaces viticoles à l’Université Michel de Montaigne Bordeaux 3 et tout particulièrement du PPF Vignes, vins et civilisation.

    -         L’implantation à la Maison des Sciences de l’Homme d’Aquitaine d’un centre de ressources documentaires sur la vigne et le vin. Cette opération s’est concrétisée par la signature d’un plan de recherche - développement en cours avec la Région Aquitaine. Le fond documentaire du CERVIN est depuis cette rentrée en place à la MSHA et le site Internet en cours d’achèvement. Le contrat avec la région comporte également un programme sur la vigne et le vin en Aquitaine, auquel sont associés des historiens et qui débouchera, à Bordeaux, en 2004 sur un colloque international sur la vigne et le vin.

     

    -         Des recherches sur contrat, dans le cadre du CERVIN, en collaboration avec Philippe Roudié, pour le Syndicat viticole de l’Entre-deux-Mers (rapport remis en 1997), pour la Fédération des Caves Coopératives d’Aquitaine (ouvrage publié en 2001) et pour le Syndicat Viticole des Graves (rapport remis en mai 2002). Les financements ainsi alloués au CERVIN viennent améliorer le fonctionnement du centre.

     

    -         Une expertise pour l’INAO dans le cadre de l’affaire Monbadon, dont il est question dans notre mémoire. Le travail demandé comportait deux volets : la genèse des espaces viticoles en Libournais (analyse de Géographie historique) et le fonctionnement actuel du territoire hérité de la fusion Puisseguin – Monbadon en 1989 ( analyse de Géographie sociale). Cette demande de l’INAO est pour nous la marque d’une inflexion sensible de la doctrine de l’Institut, ainsi que nous le soulignons plus loin. Cette expertise nous a permis d’encadrer deux étudiants en stage à l’INAO dans le cadre de leur maîtrise. Le rapport a été remis au printemps 2001. Ce type de travail est pour le chercheur une occasion irremplaçable de contact avec les professionnels et de confrontation des analyses.

     

    -         Cette implication forte dans les activités du CERVIN est complétée par une bonne intégration dans certaines des activités de recherches d’autres structures de l’UFR de Géographie et Aménagement :

    * L’équipe INTERMET (Intégration Territoriale et Métropolisation), dans le cadre de l’axe 2 sur les espaces ruraux, piloté par Guy Di Méo. Dans ce cadre une collaboration est en cours de développement, avec des collègues toulousains (Dynamiques Rurales) sur les espaces intermédiaires ; des travaux de terrain en Pays de Serres ont eu lieu à  l’automne 2002, d’autres sont programmés au printemps 2003.

    * L’observatoire de l’autoroute A89, centre de Bordeaux, dirigé par F. Tesson : travaux d’équipe sur le terrain en Dordogne et publication d’un numéro spécial de Sud-Ouest européen, dirigé par Guy Di Méo et en cours de parution. Pilotage d’un programme sur le rôle du territoire dans la perception du phénomène autoroutier.

    * Le contrat d’objectif Lieux, territorialités, mémoires de la MSHAquitaine qui donne lieu à une collaboration avec des chercheurs en Sciences sociales de l’Université Bordeaux II et les acteurs de l’appellation Sainte-Foy-Bordeaux (stage au printemps 2002) ; travaux en cours.

    Ces multiples activités ont favorisé la lente maturation d’une construction problématique qui se retrouve dans mes publications.

     

     

    L’élaboration progressive d’une problématique 

      

    Plus géophysique que géosocial, ce fut tout naturellement à la notion de terroir que s’attachèrent mes premières réflexions sur le vignoble. Elles étaient marquées par les travaux d’Henri Enjalbert. Le terroir était alors pour moi un concept agronomique, soit un sol, un climat, une pente, une exposition, un type de mise en valeur... Dans la logique des travaux de René Pijassou sur le Médoc, des agronomes et autres pédologues bordelais, ce terroir est alors considéré par de nombreux acteurs du monde viticole comme la clé de leur réussite.

    Mes premières investigations s’attachèrent ainsi à mettre en exergue leur rôle dans l’organisation des espaces vitivinicoles contemporains. Mais bien vite le primat du terroir agronomique est apparu illusoire. S’imposa alors une orientation nouvelle qui me rapprocha davantage des conceptions de Philippe Roudié, qui avait déjà ouvert la voie dans laquelle je me suis engagé[1][1].

    La problématique, qui s’affinait, était de plus en plus orientée vers la question des héritages spatiaux et de leur mobilisation par les groupes d’acteurs territoriaux dans les dynamiques territoriales en milieu rural. Cet aspect m’incitait alors à un rapprochement avec Guy Di Méo qui venait d’être nommé à Bordeaux, comme en témoigne une de mes premières publications, Le pays de Saint-Macaire, un territoire à la recherche de son identité (1995)[2][2]. Les héritages sociaux y apparaissent nettement plus déterminants dans les dynamiques territoriales, vitivinicoles comprises, que les agro-terroirs.

    Démarrait alors une collaboration qui se concrétisait par un contrat avec le Ministère de la Culture dans le cadre d’un programme national intitulé Nouveaux usages de la campagne et patrimoine. Nous avions proposé une étude comparative entre l’Entre-deux-mers girondin et la Messara crétoise qui déboucha sur deux articles, en collaboration, Une méthode d’investigation territoriale appliquée à l’Entre-deux-mers (Gironde) (1999) et Représentations patrimoniales et recompositions territoriales vécues dans l’Entre-deux-Mers girondin (1999).

    Ce travail, qui avait permis l’encadrement en duo d’étudiants de maîtrise impliqués dans la recherche, devait se poursuivre à travers l’étude des dynamiques territoriales de diverses régions d’Aquitaine dont les résultats sont proposés dans Nouvelle ruralité et recompositions territoriales dans le Sud-Ouest aquitains, Festivités girondines et dynamiques territoriales, du bassin de vie au département, Les dynamiques territoriales en Bazadais historique au seuil du troisième millénaire et A89 et aménagement du territoire en moyenne vallée de l’Isle (Dordogne)mais aussi , L'Entre-deux" et "les deux Mers", analyse des structurations et relations spatiales aux 18e et 19e siècles en Entre-deux-Mers (1998), Jeux et enjeux territoriaux dans l’est de l’Entre-deux-mers (2000).

    Cette implication dans la réflexion sur les conditions de production territoriale allait largement influencer ce qui demeurait le cœur de mes préoccupations, les territoires du vin. L’objectif est une meilleure compréhension de l'organisation des espaces viticoles actuels, de leurs fondements naturels, économiques et sociaux. La bonne intelligence de ces constructions sociales vitivinicoles passe principalement par l'analyse des relations complexes qui les unissent pour donner les véritables territoires que sont la plupart des appellations actuelles. Comme toujours et partout, les logiques contemporaines, celles qui dictent les dynamiques en cours, se superposent sans cesse aux héritages plus ou moins prégnants des périodes passées, et tout particulièrement ceux du 19e siècle et de la première moitié du 20e siècle.

    C'est donc à la reconstitution d'une géographie historique des régions viticoles du Bordelais, dans ses composantes non seulement économiques mais aussi sociales, que je me suis alors attaché pour comprendre comment ce sont peu à peu élaborées les zones d'appellation. Plusieurs directions de travail furent privilégiées, que nous présentons séparément pour des raisons de commodités, mais dont l’approche simultanée permit seule une bonne perception des dynamiques territoriales.

    1- L’analyse des facteurs naturels : terroirs et appellations, quels liens ?  

    .           Dans le vaste débat sur le rôle prééminent du terroir ou de l'homme dans la qualité des vins[3][3], l'analyse des relations entre appellations et terroirs n'est pas une problématique nouvelle. Elle fut notamment abordée en septembre 1991 lors des Entretiens de Bordeaux, organisés sous le patronage de l'O.I.V. Pourtant cette question peut paraître quelque peu ridicule pour de nombreux consommateurs français, tant les deux notions semblent intimement liées, dans un pays où la qualité des productions est réputée basée sur celle des terroirs qui les produisent. D'ailleurs la communication sur les vins associe à peu près toujours terroir et qualité.

    Une analyse des décrets constitutifs des appellations d'origine met cependant très vite en évidence une telle diversité de situations que l'envie d'y déceler quelques logiques chancèle fortement. Dans une législation d’une extrême complexité, la délimitation d'une appellation peut aussi bien correspondre aux limites précises d'un terroir qu'à celles d'une vaste circonscription administrative comme la Bourgogne. Une étude approfondie de quelques régions viticoles en Bordelais au 19e siècle souligna la primauté des choix sociaux sur les injonctions du milieu naturel. Nous en trouvons la trace dans Recherches rurales n°1,Terroirs et appellations, les coteaux du Bordelais (1997), que j’ai joint à mon dossier. Ce sont des conclusions identiques que l’on retrouve aussi dans Le patrimoine viticole de l'Entre-deux-Mers (1997), L'Entre-deux" et "les deux Mers", analyse des structurations et relations spatiales aux 18e et 19e siècles en Entre-deux-Mers (1998), Utilisation du sol et économie rurale en Benauges au XIXe siècle (1999), Genèse d’un grand vignoble, la région viticole des Graves de l’Antiquité à nos jours (2002).

    Il se dégage bien de ces analyses une sensibilité certaine pour les terroirs. C'est notamment le cas pour les vignobles de rive droite de la Garonne où les vins rouges de côtes se distinguent des vins rouges de palus, des vins blancs fins, liquoreux et parfumés des 1ère et 2ème côtes alors que les vins récoltés sur les plateaux servent à la consommation des cabarets et aux coupages. Ainsi est esquissée une géographie viticole qui conforte le rôle du terroir. Cette hiérarchie se lit dans les documents cadastraux où les impositions à la parcelle, en reflétant les revenus supposés, traduisent les appréciations différentielles. Mais cette valorisation des meilleurs terroirs, pour être contributive de la hiérarchie des crûs et châteaux, en apparaît très dépendante. Les appréciations, et donc les prix, sont le reflet d'une hiérarchie commerciale où la notoriété du propriétaire conjointement à celle du négociant acquéreur apparaît souvent déterminante. La primauté des notions de crus et de châteaux sur celle de terroir est primordiale à la fin du 19e siècle.

    Cette primauté du social est confirmée, pour le 20ème siècle, lors des phases administrative et judiciaire de la mise en place des délimitations (Appellations et terroirs en Bordelais, 1999) mais aussi lors de celle d’appellations récentes, après la Seconde Guerre mondiale, comme nous le rappelons dans Terroirs et « qualité des vins », quels liens dans les vignobles du nord de l’Aquitaine ?( 1999), mais aussi dans Une empreinte dans le vignoble, histoire des vins d’Aquitaine d’Origine Coopérative (2001). Elle est confortée aussi par l’analyse de l’évolution des places respectives de la vigne et de la forêt dans le long terme, depuis le 18ème siècle : En Entre-deux-mers, vignes et forêts, Forêts et vignes, bois et vin, XVIIIe –XXe (2000)).

                 Ce primat du social s’explique en grande partie par le rôle déterminant que les premiers syndicats viticoles jouèrent dans la délimitation des zones d'appellation en suscitant dans les années 1920 une multitude de procès pour la défense des intérêts de leurs adhérents, pour une bonne part sur la base du respect des usages locaux loyaux et constants prévus par la loi. Les minutes de ces procès constituent une synthèse des argumentations présentées par chaque partie : Les usages locaux, loyaux et constants dans les appellations viticoles du nord de l’Aquitaine (2001) et de nouveau Genèse d’un grand vignoble, la région viticole des Graves de l’Antiquité à nos jours (2002).

    Et en accordant ainsi la primauté au social face au naturel, le monde viticole bordelais a promu un modèle territorial, fondé sur la notion de cru, pris comme formation socio-spatiale à échelle variable. Ce choix était en partie fondé sur une des caractéristiques fondamentales des bordeaux qui en fait un vin d'assemblage de plusieurs cépages d'où la nécessité d’une variété des terroirs pour une meilleure adaptation de ceux-ci aux conditions naturelles. A grande échelle, pour les meilleurs terroirs, l'adéquation terroir – vin est le plus souvent assez forte mais il est utile de se demander quel est le poids de l'homme, de ses techniques et de ses capitaux dans la suprématie de certains terroirs. Les mêmes efforts sur d'autres terroirs avec la même insistance ne sont-ils pas susceptibles de résultats équivalents. Plus on descend dans l'échelle géographique et dans la hiérarchie des appellations, plus le lien est ténu et plus l’appellation est l'attribut d'un territoire où le poids des éléments humains est de plus en plus grand. Ainsi pour la région de Saint-Emilion où au moins cinq grandes familles de terroirs ont pu être identifiées. L’écart entre appellation et terroir est encore plus manifeste si l’on se place à l’échelle du vignoble dans son entier. Et à toute échelle l'appellation répond à une définition socio-spatiale.

    Les minutes des procès permettent également d'analyser avec une certaine finesse les représentations des viticulteurs de la première moitié du 20e siècle.

     

    2- Les territoires du vin : quelles images, quelles représentations se sont construites à partir de ces réseaux territorialisés, quel rôle ils ont eu dans la construction des AOC. ?  

    Les documents constitutifs des syndicats de défense de la fin du 19e siècle, la presse syndicale de l'époque mais aussi tous les documents publicitaires, tous les discours des acteurs locaux dans la presse locale sont autant de témoignages devant permettre de faire revivre les territorialités de l'époque et ainsi de mieux comprendre les origines multiformes et le caractère alors dynamique de nos appellations. Aujourd'hui contrôlées et donc figées pour bon nombre d'entre-elles, ces appellations sont le reflet de la conjoncture viticole à leur création et de ce fait, pour partie, inadaptée au contexte actuel. C'est tout particulièrement le cas de nombreuses appellations de vins blancs du Bordelais (Une histoire avec beaucoup de blancs, 1995) comme l'Entre-deux-Mers (Le patrimoine viticole de l'Entre-deux-Mers, 1997) ou les Côtes de Bordeaux-Saint-Macaire et surtout de Géographique historique et sociale en Libournais (2001) et Genèse d’un grand vignoble, la région viticole des Graves de l’Antiquité à nos jours (2002).

    Cette détermination des appellations repose donc pour une large part sur les composantes de la société lors de leur mise en place.

     

    3- Le rôle des structures sociales  

    La reconstitution de l'environnement économique et social de l'époque permit de fournir les éléments d'explication de la qualité des vins bordelais. Notamment l'étude des rapports entre cultures et situation sociale et foncière des propriétaires a été l'occasion d'appréhender dans quelle mesure des terroirs géographiquement analogues ont eu des destins divers à cause des orientations divergentes que leur ont imposé les maîtres du sol. L'étude assez systématique des cadastres anciens, des premiers annuaires viticoles, de la presse spécialisée de l'époque permet la reconstitution des espaces sociaux viticoles avec toutes leurs composantes. Les documents cadastraux constituent une base de données spatialisées exhaustive puisqu’ ils ont été presque toujours conservés. Rappelons sommairement les principes de ce document voulu et imposé par Napoléon 1er et qui a passé au peigne fin toute parcelle bâtie ou non bâtie, en en évaluant la superficie, la nature de culture, l'imposition unitaire et en multipliant cette dernière par la surface réelle, le coût de l'impôt. Ce qui, avec les multiples croisements possibles, permet de jongler statistiquement et cartographiquement pour une connaissance parfaite de l'état foncier du sol, de la répartition globale des grands types de culture et, par propriétaire, de la taille des parcelles et surtout, ce qui va nous intéresser ici, du revenu potentiel jugé par les taux d'imposition. Et ceci d'autant plus que ces derniers sont répartis en classes de valeurs différentes calculées en francs par hectares (de une à cinq en général), permettant d'avoir une idée de la hiérarchie financière des terres. Ils fournissent ainsi à partir de la première moitié du 19e siècle des renseignements très complets sur l'occupation du sol par les cultures, sur l'appropriation des terres avec souvent profession et adresse des possédants. Le montant de l'imposition permet une étude fine des revenus supposés et donc des hiérarchies entre spéculation aux différentes périodes abordées mais aussi entre terroirs différents à une même date. C'est donc une approche très fine de l'économie et des sociétés viticoles qui est ainsi permise comme proposé dans Terroirs et organisation spatiale aux 19e et 20e siècles : une commune viticole des Premières Côtes de Bordeaux, Donzac, in Terroirs et appellations, les coteaux du Bordelais.

    Pour ce faire, une cartographie assez systématique du Bordelais a été entreprise et est en cours. C'est bien sûr un travail très long puisqu'il nous faut dépouiller plus de 500 matrices cadastrales correspondant aux communes viticoles actuelles mais aussi à toutes celles qui ont connu la culture de la vigne dans le passé. Pour certaines communes, l'exploitation des plans et matrices cadastrales aboutit à la réalisation d'une carte de l'occupation du sol par parcelle, avec reconstitution des principales propriétés, avec analyse de l'organisation de l'espace. Pour la plupart, la reconstitution se fera par section, subdivision cadastrale de la commune, qui le plus souvent présente une homogénéité relative en matière d'occupation du sol ou par commune afin de pouvoir donner une image de l’ensemble de la région bordelaise comme nous l’avons pour l’Entre-deux-Mers

                 Ce travail est complété par la création d'une véritable base de données informatisées sur l’occupation du sol et sur les propriétés. Là aussi, pour des raisons de temps et de moyens, le travail est conduit à deux niveaux : pour quelques communes, une exploitation systématique de la matrice se traduit par une appréciation très fine des structures économiques et sociales ; pour la plupart, seules les données globales seront retenues et feront l'objet d'un traitement statistique adapté.

    Pour l'heure, cette direction de recherche met en lumière la très grande hétérogénéité sociale des régions viticoles traditionnelles du Bordelais que sont les Graves (Territoires et vins dans le vignoble des Graves au milieu du 19ème siècle), le Libournais (Géographique historique et sociale en Libournais, 2001) l’Entre-deux-Mers (Utilisation du sol et économie rurale en Benauges au XIXe siècle, 1999) et les pays de côtes (Etudes rurales n°1). Ces analyses, encore ponctuelles, mais qui concernent désormais toutes les régions viticoles du Bordelais soulignent donc assez nettement la correspondance entre la notoriété du vignoble et les structures sociales. Les plus prestigieux comme les Graves du Nord, le Médoc ou Saint-Emilion donnent une image contrastée, opposant une multitude de petits viticulteurs "villageois" à un nombre important de gros propriétaires issus de la bourgeoisie marchande. Les vignobles de moindre renom comme celui de Donzac ne sont que très marginalement concernés par les investissements urbains. 

    Et cette hétérogénéité sociale se double d'une hétérogénéité des productions, telle que l'on peut la mesurer par des revenus supposés au travers des impositions : dès le début du 19e siècle l'échelle des impositions fiscales est en effet très ouverte, tant d'un vignoble du bordelais à l'autre, qu'à l'intérieur d'une même commune, ainsi que le soulignait déjà une première synthèse, Les structures territoriales héritées en Bordelais, premier bilan et perspectives (1999).

                 Ces territoires du vin sont devenus aujourd’hui de véritables systèmes productifs locaux, de plus en plus encadrés et largement mobilisés par les acteurs territoriaux.

     

    4- Vin, vigne et territoire  

    L’encadrement politique, au sens le plus global, celui de la gouvernance du vignoble est un fait ancien, qui remonte, au moins, aux comices agricoles du 19ème siècle et s’est considérablement accentué avec la création des syndicats d’appellation lors de la phase judiciaire des délimitations (Les usages locaux, loyaux et constants dans les appellations viticoles du nord de l’Aquitaine, 2001 et Genèse d’un grand vignoble, la région viticole des Graves de l’Antiquité à nos jours, 2002). Le poids de cet encadrement s’est accentué considérablement au cours des dernières décennies avec la montée en puissance des aspects techniques d’une part, tant dans les vignes que dans les chais. Parallèlement, le rôle des syndicats d’appellation a été renforcé, notamment par l’obligation des agréages mais aussi par la nécessité des choix à opérer entre viticulture de terroir et viticulture productiviste, entre le local et le mondial, comme j’ai essayé de le montrer dans Les nouvelles conditions de production dans le vignoble bordelais (2000) et Genèse d’un grand vignoble, la région viticole des Graves de l’Antiquité à nos jours, 2002. Les territoires vitivinicoles sont désormais gouvernés par la profession sous le contrôle de l’INAO.

    Dès lors les acteurs de la filière vitivinicole tiennent un rôle de plus en plus prégnant dans le développement endogène des territoires ruraux en recomposition. Celui-ci est la traduction de la résistance du local avec l’affirmation de territoires viti-vinicoles, doté d’une identité souvent forte ancrée sur civilisation de la vigne et du vin. Celle-ci constitue une superstructure idéologique omniprésente en Bordelais comme dans toute les grandes régions viticoles mais aussi pour toutes les recompositions qui s’articulent autour d’un petit vignoble d’appellation récemment régénéré, ainsi que le raconte, pour l’Aquitaine, à propos des caves coopératives, Une empreinte dans le vignoble, histoire des vins d’Aquitaine d’Origine Coopérative. Le vin est alors au cœur des problématiques de développement local comme cela à pu être montré également en Entre-deux-mers, pour les Graves (Genèse d’un grand vignoble, la région viticole des Graves de l’Antiquité à nos jours, 2002) et pour l’ensemble de la Gironde mais aussi pour toute l’Aquitaine dans Acteurs viticoles et développement endogène en Aquitaine (2000) et Vignes, vins et territoires en Aquitaine, (2001).

    Reste alors la question de l’avenir de ces territoires vitivinicoles dans la mondialisation.

     

    5- L’avenir des territoires vitivinicoles  

                 Les dynamiques actuelles des campagnes viticoles françaises (2001) (texte 15) mettent en lumière des évolutions contrastées mais d’où il ressort que dans une tendance de restructuration et de contraction spatiale, les vignobles de qualité se portent plutôt bien. Toutefois le devenir d’une agriculture très ancrée dans une logique de terroir demeure dans la Nouvelle planète des vins. Le dernier quart de siècle du 20ème siècle s’est caractérisé par la mondialisation de l’économie viticole avec une production de plus en plus mondiale, une consommation mondiale de vin en pleine mutation et un marché du vin de plus en plus complexe : Le commerce des vins de Bordeaux « outre-mer »(1998) et surtout Le commerce mondial des vins, (2000) complété par Un marché mondial des vins en grande turbulence (2001).

    Ce pose alors le problème du choix des logiques commerciales pertinentes entre local et mondial, pour les vieux vignobles producteurs traditionnels de l’Europe. A l'origine, le succès du bordeaux est celui du négoce Avec la mise en place des AOC et le succès des vins de terroir, la propriété a pu reconquérir des parts de marché importantes en mettant en avant des vins géographiques plutôt que des vins génériques : Entre tradition et innovation, entre spéculation et plaisir, quel(s) bordeaux au 3ème millénaire, 2001 et Les territoires du vin : quelles perspectives ?(2002). 

    A partir des principaux résultats, résumés ici et complétés par des recherches menées hors Aquitaine depuis trois ans, sur la Toscane avec Philippe Roudié, le Douro avec François Guichard, en Rioja et sur quelques vignobles français , je livre dans le volume 2, Les terroirs des vins d’AOC : des constructions sociales dans la longue durée, un essai sur l’état de ma réflexion à l’automne 2002. Loin d’un testament, ce n’est qu’un point scientifique, prélude à de nouveaux développements, comme j’y reviendrai dans la conclusion générale en fin de ce volume 2. 

    Mais, avant de l’ouvrir, il me paraît souhaitable de conclure ce volume 1 sur quelques considérations générales concernant notre discipline et pouvant éclairer les positions scientifiques prises plus loin.

     

    Enseignant-chercheur géographe 

      

    Ces années de recherches m’ont en effet conduit à un positionnement en tant que chercheur , dont je retiendrai ici trois aspects, brièvement exposés :

     

    1- La géographie comme analyse des territoires.  

    La Géographie est vécue comme une discipline de l’analyse des territoires, considérés comme des espaces mis en valeur par une société. L’objet de la Géographie est donc l’analyse de l’aménagement des espaces humanisés et doit répondre à la question comment ça marche ?, ce qui revient à rechercher comment fonctionnent les grandes structures, où sont les piliers sans le maintien desquels toute l’organisation s’effrite. D’où l’importance de la géographie historique, du fonctionnement des organisations, inductrices de dynamiques territoriales mais aussi le poids considérables des politiques publiques en tant que médiatrices dans ces dynamiques territoriales. Le géographe ne peut plus aujourd’hui se présenter comme l’homme des synthèses ; toute discipline élabore ses propres synthèses en fonction des problématiques qu’elle se donne. Le géographe doit se positionner comme un professionnel du diagnostic territorial, soit un état des lieux de l’organisation d’un espace donné par une société, ce qui implique qu’il soit en mesure d’exploiter les informations des sciences voisines comme l’écologie, l’économie, la sociologie sans négliger l’histoire pour construire sa propre représentation de l’aménagement de l’espace. Il n’est ni l’un ni l’autre et encore moins un aménageur mais seulement un scientifique qui, avec ses propres outils – et la FSS en est un parmi d’autres –, propose une lecture cohérente du Monde. L’enseignement de la Géographie peut alors devenir autre chose que la seule reproduction du corps enseignant et former des géographes professionnels, comme c’est l’ambition de la licence professionnelle Animation, Valorisation, Médiation des Espaces ruraux de Bordeaux3, capables de participer à une bonne gouvernance des territoires. 

      

    2- L’activité d’enseignant-chercheur.  

    Celle-ci passe certes par l’intégration dans de grosses structures de type UMR, seules susceptibles de gérer les infrastructures en personnel et moyens techniques indispensables au bon fonctionnement des équipes. Mais la recherche ne peut se réaliser que dans le cadre de petits groupés soudés de personnes qui ont envie de collaborer étroitement. A l’intérieur des grosses unités administratives, le commando de chercheurs doit demeurer le mode de fonctionnement. Lui permettre d’exister est vital, pour la recherche universitaire tout du moins. Le noyau de géographes (et même d’historiens !) formé autour de Guy Di Méo et / ou Philippe Roudié en est la preuve manifeste. 

      

    3- Une recherche impliquée  

    Le chercheur ne doit pas refuser de collaborer à l’action. Une géographie impliquée, mais non militante, peut avoir l’ambition d’apporter des informations permettant aux professionnels de l’action territoriale de répondre à leurs interrogations. Cela demande de participer aux réflexions de ces professionnels (contrats de travail avec les syndicats d’appellation, implications dans les travaux de l’INAO, etc…). Loin de l’idée d’apporter des solutions toutes faites, comme le font trop volontiers les bureaux d’études, il s’agit seulement de favoriser les prises de décisions des acteurs en générant les meilleures conditions pour leur permettre de maîtriser les zones d’incertitudes, sources de pouvoir dans les organisations au sein desquelles ils œuvrent. Cette maîtrise passe notamment par une bonne connaissance de leur organisation et donc de leur territoire lorsqu’il s’agit d’acteurs territoriaux. 

     



    [1][1] Philippe Roudié, Terroirs viticoles et structures sociales : travaux en cours sur les graves de Bordeaux, in Actualités œnologiques et viticoles, Ed. Dunod, 1981,

    [2][2] Pour des références complètes voir « Mes publications » sur ce blog.

    [3][3] DION, Querelle des anciens et des modernes sur les facteurs de la qualité des vins, Ann. de Géographie, Paris, LXI, nov. – déc. 1952


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  • Terroirs et qualité des vins, un lien à l’origine.

    Mais quelle origine ?

     

    Résumé

    Si pour un terroir viticole le potentiel naturel est un incontestable atout du succès des vins qu'il porte, le capital social et l'esprit d'entreprise conjugué avec un certain leadership technologique sont au cœur de ses avantages concurrentiels par rapport à ses concurrents directs que sont les autres terroirs.

     

    Introduction

                    Pour beaucoup de consommateurs, d’amateurs, un vin de qualité est  aujourd'hui un vin de terroir, ce qui implique pour le produit un lien au lieu. Mais de quel lieu s'agit-il ? Ce lieu de qualité est-il :

    • un lieu naturel comme l'est un site viticole ? (1ère partie)
    • un lieu approprié comme l'est un terroir ? (2ème partie)
    • un lieu d’excellence comme peut l'être un noyau d’élite viticole ? (3ème partie)

     

                    Les premiers écrits des temps modernes sur la vigne et le vin, à savoir Olivier de Serres (1600) puis Nicolas Bidet (1759) mettent nettement l'accent sur le lieu naturel. Le premier lui accorde un rôle essentiel dans l'agronomie de son temps. « Le fondement de l’agriculture est la connaissance du naturel des terroirs que nous voulons cultiver... » est la première phrase du premier chapitre de la première partie de son traité d'agriculture. Dans celui-ci le mot terroir revient souvent mais il n'est pas toujours aisé de lui donner un sens très différent de terre ou terrain.

                    Un siècle et demi plus tard, Nicolas Bidet paraît plus explicite :

    « Un Propriétaire qui a ſes Vignes diviſées en pluſieurs piéces,& répandues dans différens cantons d'un terroir pourroit & feroit bien de vendanger le matin juſqu'à onze heures celles expoſées au Levant & au Nord depuis onze heures juſqu'à trois, celles expoſées au Midi »[1] puis « la différente qualité de ces vins, conformément à la différente qualité des terroirs de ces vignobles »[2].

    Le lien au lieu « naturel » est donc dès cette époque affirmé dans ce qui un des premiers manuels de vitiviniculture. Il n'a fait que s'affirmer par la suite.

    Pour lire la suite  Télécharger « 2015 Terroirs et qualité des vins.pdf »


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