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Avec Pascal Ribereau-Gayon (1930-2011), nous découvrons le premier entretien du Cervin afin de documenter notre mémoire du vignoble bordelais grâce à la parole de ses acteurs. Ainsi pour celui qui fût directeur de l'Institut d'œnologie de 1976 à 1997, interrogé quelques semaines avant sont décès le 15 mai 2011.
L'entretien a été enregistré pour le Cervin par JM Chevet (historien) et JC Hinnewinkel (géohistorien).
Né le 4 juin 1930 à Bordeaux. Après des études au Lycée Michel-Montaigne à Bordeaux, aux facultés des sciences de Bordeaux et de Paris, aux Universités de Cambridge (Angleterre) et de Californie (Etats-Unis). (Diplômé d’études supérieures de sciences, Docteur ès sciences physiques), il est recruté en 1952 comme assistant à la faculté d’œnologie dirigée par son père. Chef de travaux (1961), Maître de conférences (1964), Professeur (1969), il devient en 1976 directeur de la station agronomique et œnologique de Bordeaux. Il le restera jusqu’en 1997.
Ses recherches scientifiques sur la vigne, le raisin et les fermentations, en vue de l’amélioration des conditions de production des grands vins, sont à la source de nombreuses publications et communications en microbiologie et biochimie appliquées à l’œnologie. Il est mort le 15 mai 2011 à Bordeaux alors que sa dernière publication « L'histoire de l'œnologie à Bordeaux de Louis Pasteur à nos jours » était en cours de parution chez Dunod.
C’est à propos de cet ouvrage que le CERVIN (Jean-Michel Chevet et Jean-Claude Hinnewinkel) avait souhaité le rencontrer dans le cadre d’un programme de recherches de l’ISVV sur l’histoire de la qualité des vins de Bordeaux. Quelques semaines avant son décès, il nous avait reçus dans son appartement bordelais. Cet entretien a été transcrit sans modification.
Cervin : Comment décrivez-vous le modèle viticole bordelais ?
Pascal Ribereau-Gayon : Le modèle viticole bordelais, c’est peut-être tout simplement la collaboration qu’il y a eu entre les scientifiques et le monde professionnel. On ne fait pas les vins doux naturels de Perpignan comme on fait les vins doux de Bordeaux ou les vins blancs d’Alsace. Il y a une façon d’aborder le vin qui n’est pas identique partout.
La façon de faire le vin a changé au cours du temps. Il y a la question de la fermentation malolactique qui a transformé l’approche de la vinification. Pasteur ne l’a pas vue. Cela n’enlève rien à son mérite, à sa notoriété, mais certains ont voulu le cacher. Parce que « Pasteur a dit que… ». Il a été très difficile de faire accepter cette découverte. On ne pouvait pas dire que Pasteur c’était trompé… Mais au moment de la grande expansion, dans les années 50-60, cela a beaucoup joué.
Il y a des écoles dans le domaine du vin, comme ailleurs. J’ai toujours joué sur la finesse pour définir et produire un grand vin. Et dans ce domaine on a entrainé les autres. La Bourgogne a fait d’énormes progrès beaucoup plus tard que nous, un peu en nous imitant. Les vins blancs de Bourgogne ont toujours été prodigieux. Ils avaient un cépage bien adapté, très facile à travailler, c’est le Chardonnay. Nous nous avons le Sauvignon qui est très difficile à travailler et si nous arrivons à bien de travailler à Bordeaux, c’est tout récent. Pour le rouge c’est le contraire, nous avons la cabernet-sauvignon : pourvu qu’il murisse bien, il fait un vin excellent. Par contre le pinot est un cépage diabolique, très fragile, qu’il faut travailler dans des conditions optimales. En matière de vins rouges, ils ont fait des progrès récents, alors que leurs vins blancs sont remarquables depuis longtemps. Et donc plus qu’une question d’école de vinification, c’est une question de choix et de culture de cépages.
La Bourgogne est une chose, Bordeaux est autre chose : il y a de très bons vins des deux côtés. Mais c’est vrai que l’œnologie bourguignonne a été plus lente. Pour vous citer un exemple, il n’y a eu que tout récemment un professeur d’œnologie à l’université. Il y avait des professeurs qui enseignaient l’œnologie mais qui n’étaient pas des professeurs d’œnologie. Mon père a été le premier dans l’université française à être titulaire d’une chaire d’œnologie et j’ai été le second. Les chaires ont disparues et c’est devenu première et seconde classe. Les professeurs d’université à Dijon c’est beaucoup plus récent. A Montpelier c’est une école d’agriculture. A la faculté de Pharmacie le professeur Jaulmes qui enseignait l’œnologie était professeur de chimie analytique. Madame Brun c’était pareil. A l’étranger, aux Etats-Unis, il y a toujours eu des professeurs d’œnologie. Ils sont moins regardants qu’en France pour les créations de postes à l’université.
Mon père travaillait chez Calvet. En 1949 il est devenu directeur de la station d’œnologie et ensuite il est entré à la faculté des sciences comme maître de conférences et a fait toute sa carrière à Bordeaux. Moi j’ai fait une carrière complète à l’université de Bordeaux.
Ulysse Gayon a beaucoup marqué ici car il arrivait de l’équipe de Pasteur et est resté en contact avec lui. Après avoir soutenu sa thèse avec lui, il a refusé de rester dans son équipe pour se rapprocher de la Charente d’où il est originaire et s’est installé à Bordeaux où il a fait toute sa carrière.
Je suis arrivé en 1950, un moment où le vignoble était sinistré au lendemain de la guerre. Quand je suis parti en 2000, je ne sais même si au 19ème siècle il avait connu une période aussi glorieuse. Dans les années 50, les chercheurs de l’INRA disaient aux viticulteurs « faites du rendement, vous serez toujours gagnants ». En 2000, on est arrivée à la situation où la qualité est payante : faire moins de vin meilleur permet de gagner plus. La qualité du vin avait déjà été reconnue en 1855 mais elle reposait sur celle du terroir, sur la reconnaissance des bons terroirs. Aujourd’hui la qualité du vin est fondée sur le travail de l’homme. On a compris tellement de choses sur le raisin et la vinification qu’aujourd’hui on est en mesure de faire face à beaucoup d’aléas. On ne ramasse plus des raisins pas mûrs et pourris.
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Jean-Claude Hinnewinkel , Maitre de conférences de Géographie, CERVIN / Intermet, Université Michel de Montaigne - Bordeaux3
Cet article est la conclusion de l'ouvrage de Hinnewinkel J.C. et C Le Gars (dir.), Les territoires du vin, Bordeaux, Editions Féret, p.71-84. Cet ouvrage est la synthèse du colloque pluridisciplinaire qui s'est tenu en 201 à la Maison des sciences de l'homme d'Aquitaine sous la responsabilité de l'auteur.
Contribuer à la réflexion sur l’avenir des « AOC » : c’est avec cette ambition que nous avons ouvert ce colloque avec pour y parvenir un double questionnement : Comment, au fil des siècles, ont été définis les territoires vitivinicoles ? A quelles conditions peuvent-ils assurer leur permanence ?
C’est en tentant d’y répondre que nous souhaitons conclure.
Les éléments de réponse (partielle) à la première question nous les trouvons tout d’abord dans les diverses contributions de « Géo-Histoire ». La connaissance des AOC passe en effet par celle de leur histoire la plus ancienne, pas celle des hommes célèbres qui aurait fait la gloire de tel ou tel vin mais celle des sociétés viticoles qui ont produit ces vins, celle des organisations qu’ils ont progressivement élaborées pour la protection de leur « rente territoriale ».
Les vignobles et les territoires que les sociétés construisirent autour d’eux, sont le fruit d’une conjoncture, d’un concours de circonstances historiques comme nous le rappelons dans cet ouvrage à propos des Graves et que d’autres ont largement souligné avant nous . Des avantages comparatifs « naturels » conjugués à un moment favorable d’une histoire tout à la fois économique, sociale et politique servirent de déclencheur. Ce sont alors les sociétés qui s’y employèrent avec plus ou moins de bonheur et écrivirent ainsi les pages si précieuses des fondements des grands vignobles contemporains, de la lente construction sociale des terroirs. Une fois le vignoble créé, tout n’est plus qu’affaire de protection d’une rente territoriale qui passe par la mise en place de règlements et d’institutions dans le cadre de véritables politiques publiques élaborées progressivement au fil des siècles. La protection de la rente s’appuie également sur des représentations dont le rôle dans nos sociétés modernes ne cesse de croître.
La lente construction sociale des terroirs
En parcourant les fragments de l’histoire des terroirs viticoles que sont les communications présentées dans ce volume, un élément paraît tout à fait remarquable : le poids des composantes sociales dans l’élaboration de la personnalité de chaque vignoble, dans la lente construction des mêmes terroirs.
A suivre
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Jean-Claude Hinnewinkel , Maitre de conférences de Géographie, CERVIN / Intermet, Université Michel de Montaigne - Bordeaux3
Cet article est extrait de Hinnewinkel J.C. et C Le Gars (dir.), Les territoires du vin, Bordeaux, Editions Féret, p.71-84. Cet ouvrage est la synthèse du colloque pluridisciplinaire qui s'est tenu en 201 à la Maison des sciences de l'homme d'Aquitaine sous la responsabilité de l'auteur.
Quelle est, au milieu du 19ème siècle, l’organisation viticole de l’espace que l’on nomme aujourd’hui les Graves ?
Par espace des Graves nous entendons cette région qui de Castets-en-Dorthe au sud-est se développe vers le Nord, sur les terrasses graveleuses de rive gauche de la Garonne jusqu’aux portes de Bordeaux et qui depuis 1936 est subdivisée en plusieurs appellations d’origine contrôlée (carte 1).
Cette réflexion a pour objectif de comprendre comment se sont lentement mises en place les conditions de création des différentes AOC qui structurent aujourd’hui cet espace. Ce travail fait donc suite à celui de Sandrine Lavaud-Renaudie qui, dans une autre communication de cet ouvrage s’est intéressée à la même problématique pour le Moyen Age et le début de l’époque moderne ; il précède une analyse en cours sur le même espace pour la fin du 19ème siècle et la première moitié du 20ème qui vit la naissance des AOC.
Le choix de la période s’explique en partie par notre démarche que l’on pourrait qualifiée de « géographie rétrospective » tout autant que de « géographie historique » ou de « géohistoire » mais aussi et surtout, parce que, placée à la veille (ou plutôt au début) des grandes endémies qui vont bouleverser le vignoble ; nous possédons ainsi un tableau de l’organisation de cet espace viticole avant les grandes catastrophes qui vont faire émerger le vignoble moderne en s’appuyant sur ses structures profondes.
L’outil privilégié est celui du géographe, la cartographie statistique, afin de faire émerger les éléments « organisateurs » de l’espace, les structures profondes de l’organisation spatiale. Pour y parvenir nous avons puisé dans deux sources assez exhaustives pour l’époque :
*le cadastre napoléonien dans la version établie au milieu du 19ème compte tenu des choix déjà annoncés ; il nous fournit pour chaque commune étudiée un bilan par section de l’utilisation du sol mais aussi de la valeur fiscale des terres, et donc de la place du couple terroir / spéculation dans les hiérarchies commerciales et / ou dans les représentations.
*la seconde édition de « Bordeaux et ses vins » de Charles Cocks, aux Éditions Féret en 1868. Le choix de cette édition se justifie par la qualité d’information, comparée à la première édition. Les renseignements fournis, après traitement, complètent assez bien celles du cadastre pour ce qui est des produits (types de vins, qualité, réputation…) et sur les propriétés, même si dans ce domaine elles sont plus approximatives avec des formulations du type « une trentaine de vignerons fournissent moins de 5 tonneaux… ».
Pour interpréter ces cartes un outil de « lecture » à principalement été mobilisé : le « noyau d’élite »[1] qui sont « les tènements les plus favorisés pour l’élaboration de la qualité…, les centres stables…, là où l’on recueille les éléments de la tradition vitivinicole… »
Dans une première partie nous exploiterons les données du cadastre, dans une seconde celles de « Bordeaux et ses vins ».
Pour lire l'article Télécharger « 2002 Territoires Graves 19e Hinnewinkel.pdf »
[1] Georges Kuhnholtz – Lordat, La genèse des appellations d’origine des vins, en 1960, à partir des multiples campagnes de délimitations effectuées pour le compte de l’INAO
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Jean-Claude HINNEWINKEL
Maître de conférences de Géographie - Intermet/Cervin -Institut de Géographie Université Michel de Montaigne-Bordeaux3
Article paru dans la revue des œnologues n° 105 - 2002
Produit à forte valeur ajoutée, le vin occupe une place assez secondaire dans le commerce mondial, même en prenant en considération les seuls échanges de produits agricoles. En 1999, selon les statistiques de la FAO, les vins représentent seulement 4% de la valeur des exportations de produits agricoles, soit à peine plus de 0,20% de celle des produits exportés cette année là dans le monde.
Cependant ramenées à l’échelle de certains pays (France, Italie, Espagne, mais aussi Australie) les exportations de produits viticoles prennent une toute autre importance, atteignant 22% du total de la valeur des produits agroalimentaires en France en 2000 (soit seulement 1,19 % du total des marchandises exportées) mais aussi 9,7% en Espagne en 1999.
Ce commerce mondial de vin, encore modeste, connaît depuis dix ans une véritable explosion, avec des volumes échangés progressant de près de 50 % (fig. 1), malgré une production en régression de plus de 20 % : c’est la concrétisation d’une ouverture de plus en plus grande du marché, la part des vins exportés passant d’environ 14% de la production mondiale à la fin des années 1980 à près du quart aujourd’hui.
Comme le montre la fig.1, ces exportations étaient l’apanage quasi exclusif des pays européens traditionnellement producteurs de vins européens et tout particulièrement des actuels membres de l’Union européenne, les deux tiers des flux provenant de France, d’Italie et d’Espagne, tout comme les importations d’ailleurs (fig.2) : le commerce des vins étaient encore à la fin des années 1990 une affaire européenne.
Dix ans plus tard, cette position de monopole s’est quelque peu érodée par suite de l’arrivée sur le marché mondial de nouveaux fournisseurs, conséquence logique de l’évolution de la géographie de la production viticole (cf l’article ci-contre de Mme Le Gars), ce qui a conduit à redessiner la carte des grands courants d’échanges du vin au seuil du 3ème millénaire (fig.3) et à reconsidérer mes positions des différents « compétiteurs ».
Pour découvrir cette article paru dans la revue des œnologues n° 105 Télécharger « 2002 marché mondial vin.pdf »
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